Une déclaration du premier ministre désigné Justin Trudeau lors de sa première conférence de presse est à la fois significative, porteuse d'espoir et déroutante : « C'est le retour d'un Canada capable de faire preuve de compassion. »

Il ne peut y avoir de retour en arrière total ; trop de choses ont changé. Certes, le Canada va renouer avec le multilatéralisme, mais comment ? Dans une ère où entrent en scène de nombreux acteurs non étatiques et le groupe armé État islamique, la foi envers une capacité d'action multilatérale est battue en brèche. Même si les Canadiens sont encore attachés aux Nations unies, le Canada est-il même perçu comme un acteur-clé sur la scène internationale ?

UNE SÉRIE DE DÉCISIONS

Pour retrouver un peu de crédibilité dans le domaine, le prochain ministre des Affaires étrangères pourrait annoncer une série de décisions, comme la signature du traité sur le commerce des armes, la ratification des traités sur les droits des enfants, sur les personnes atteintes d'infirmités, sur les droits économiques, sociaux et culturels, ou encore la fameuse déclaration sur les droits des peuples autochtones, et faire preuve d'un engagement plus soutenu envers les agences spécialisées des Nations unies qui sont au coeur de l'action multilatérale.

Verra-t-on un retour du « pouvoir souple » ou une refonte des concepts anciens de sécurité humaine et de responsabilité de protéger, auxquels les interventions militaires en Afghanistan, en Libye, en Syrie et en Irak ont donné mauvaise presse ? Une chose est certaine : les yeux des agents du ministère des Affaires étrangères ont recommencé à briller. Reste à voir si des ressources nouvelles et la liberté d'expression leur seront accordées.

Le premier contact avec le président Obama n'a pas semblé intimider notre nouveau premier ministre, qui a été franc sur la mission canadienne en Irak et Syrie.

D'aucuns soutiennent que les libéraux ont tendance à avoir des relations difficiles avec nos voisins américains. C'est vrai que les algarades entre Pearson et Johnson ou entre Trudeau père et Nixon contrastent avec la connivence entre Brian Mulroney et les présidents Reagan et Bush père, mais Clinton et Chrétien jouaient au golf !

La réalité est qu'avec la complexité des relations canado-américaines, les accrochages sont inévitables. Reste à voir ce que Justin Trudeau offrira en échange du retrait de ses avions. Quant au pipeline Keystone, il finira bien par voir le jour. Le projet de loi 51 sur la sécurité sera modifié, mais sans que cela n'affecte la coopération avec les États-Unis. Le travail au sujet de la frontière canado-américaine se poursuivra de plus belle.

M. Trudeau s'efforcera de rétablir les relations entre les « trois amigos » et de renforcer la coopération dans l'hémisphère occidental. Son gouvernement endossera l'accord commercial avec l'Union européenne. Non seulement il voudra accueillir 25 000 réfugiés syriens au Canada, mais encore il cherchera à le faire en consultation avec les Européens et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Au sujet du Moyen-Orient, même si l'appui à Israël ne sera pas aussi prononcé que sous le règne de M. Harper, sur le fond, il n'y aura guère de changement si ce n'est une plus grande sympathie pour le sort des Palestiniens.

UN CALENDRIER CHARGÉ

Le calendrier des semaines à venir est très chargé. Le monde s'attendra à des engagements fermes de la part du nouveau gouvernement canadien, mais il faut s'attendre davantage à un changement de ton qu'à un changement de fond. Non pas que la volonté de changement n'est pas là, mais tout porte à croire que M. Trudeau voudra d'abord laisser à ses ministres la chance de découvrir leur portefeuille.

Au sujet du G20 en Turquie, M. Trudeau voudra s'associer aux mesures financières contre le groupe État islamique. La réunion de l'APEC donnera peut-être l'occasion à M. Trudeau de s'exprimer sur l'Asie, continent à propos duquel le Parti libéral a été plus que discret. Il fera probablement acte de présence à la rencontre du Commonwealth à Malte et embrassera Michaëlle Jean sur les deux joues sans pour autant prendre trop d'engagements envers la Francophonie.

C'est à la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques que les Européens attendront M. Trudeau de pied ferme, mais celui-ci ne se laissera pas démonter et plaidera l'absence de préparation du nouveau gouvernement tout en réitérant, Elizabeth May à ses côtés, que le Canada répondra « présent » en temps et lieu.

Même si les mauvaises langues prévoient une autre « décennie de grande noirceur » en matière de défense, la vraie question est le financement des grands programmes d'acquisition que le gouvernement Harper avait reportés aux calendes grecques pour éviter un déficit.

Rien ne se fera ou ne devrait se faire sans une révision en profondeur de la « Stratégie de défense : le Canada d'abord ». Plus globalement, même si le temps ne le permet pas à court terme, le nouveau gouvernement va nécessairement entamer une revue de la politique étrangère et de défense.