J'aurais souhaité ne pas en arriver là, mais...

J'aurais souhaité que le gouvernement soit plus sensible à nos demandes, mais...

J'aurais voulu que le gouvernement abandonne sa vision comptable à court terme, mais...

J'aurais voulu que le gouvernement croie davantage en l'éducation, mais...

J'aurais voulu que le gouvernement me donne une tape dans le dos (et non une claque en pleine gueule), mais...

Alors, cette semaine, je fais la grève.

Je fais la grève pour mes groupes de 35 élèves.

Je fais la grève pour mon fils de 18 ans qui aspire à une carrière d'enseignant. Je sais que je devrais l'encourager dans la poursuite de son rêve. Je sais que je ne devrais pas « assassiner Mozart », mais, alors que je devrais me réjouir, je m'inquiète pour lui.

Je fais la grève pour mon ami Luc, technicien en éducation spécialisée, qui joue un rôle capital, voire essentiel dans la vie de plusieurs jeunes.

Je fais la grève pour tous ces parents d'élèves qui espèrent que leurs enfants (forts ou faibles) aient droit à une éducation de qualité.

Je fais la grève pour tous ces enfants qui n'auront pas la chance de fréquenter cette école (privée) avec un laboratoire d'informatique à la fine pointe de la technologie et dont l'aménagement futuriste est digne d'un film de science-fiction.

Je fais la grève pour la survie de l'école publique.

Je fais la grève pour tous ces enfants qui doivent vendre du chocolat pour avoir droit à des sorties, des ballons, des livres ou une cour d'école décente.

Je fais la grève pour tous ces enfants et ces enseignants qui vivent parmi les moisissures ou qui ont des dictionnaires de l'année 1995, rapiécés.

Je fais la grève pour tous ces enfants qui ne pourront plus participer aux activités lors des journées pédagogiques parce que leurs parents n'en ont plus les moyens.

Je fais la grève pour tous ces enfants qui ne peuvent plus bénéficier du programme d'aide alimentaire.

Je fais la grève pour tous mes collègues, à bout de souffle, qui tiennent le système en vie grâce à leur générosité et leur dévouement.

Je fais la grève parce que mon ministre de l'Éducation me demande, sérieusement, de faire un effort. Comme si, depuis plusieurs années, je n'y contribuais pas déjà plus que ma part.

Cette semaine, je fais la grève, même si cela va me coûter une autre journée de salaire.

Car, oui, je suis prêt à aller jusque là. Je suis prêt à perdre de l'argent pour manifester (sans mauvais jeu de mots) mon mécontentement, mon essoufflement, mes désillusions. Pour manifester mon écoeurement.

Qu'est-ce que je peux faire d'autre ? Je me contente déjà de faire mes 32 heures de travail. Je m'assure de prendre les 50 minutes de dîner auxquelles j'ai droit. Ça veut dire : aucune récupération improvisée afin d'aider davantage mes élèves. Ça veut dire : plus vraiment le temps d'organiser une super activité. Ça veut dire : moins de temps pour répéter en vue du gala de fin d'année.

Et ça, ça a ébranlé le gouvernement ? Pas du tout. Pourtant, j'espère qu'il va finir par comprendre qu'il est impossible d'accomplir tout ce qu'on attend de nous dans de telles conditions.

Finalement, cette semaine, je fais la grève en espérant ne pas perdre l'appui que je sens au sein de la population.

Cette semaine, je fais la grève avec tous ceux qui croient en l'éducation.

Je fais la grève et j'espère que vous serez là, avec nous. Parce que c'est aussi pour vous, pour vos enfants, que nous faisons la grève.