Alors que les sondages indiquent la possibilité qu'aucun parti n'obtienne une majorité de sièges lors des prochaines élections, il est utile de rappeler les règles du jeu à cet égard et de souligner certaines particularités de la situation actuelle.

Dans une démocratie parlementaire comme la nôtre, la population n'élit pas un premier ministre ou un gouvernement. Les électeurs votent pour un député. Dans chaque circonscription, le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de votes gagne, même s'il ne franchit pas le seuil de 50 % des voix : c'est la règle de la majorité relative. Mais cette règle ne s'applique pas au choix du premier ministre : celui-ci doit obtenir le soutien de la majorité absolue des députés à la Chambre des communes. Le premier ministre et le gouvernement qu'il dirige tirent donc leur légitimité de la Chambre des communes et, indirectement, de la population.

Lorsqu'aucun parti n'obtient une majorité de sièges, plusieurs options peuvent être envisagées. Un parti peut former seul un gouvernement dit « minoritaire » ; malgré son nom, ce type de gouvernement doit obtenir un soutien majoritaire, mais il le fait au cas par cas, en s'entendant avec des partis différents pour chaque projet de loi ou vote de confiance, comme M. Harper l'a fait entre 2006 et 2011. On peut aussi envisager une entente par laquelle un parti s'engage à en appuyer un autre pour un temps déterminé, comme ce fut le cas en Ontario entre 1985 et 1987. Enfin, une coalition où des membres de deux partis deviennent ministres au sein du gouvernement peut également être formée, comme au Royaume-Uni entre 2010 et 2015.

On évoque souvent la possibilité que le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique (NPD) forment une coalition pour prendre le pouvoir si le Parti conservateur obtient le plus grand nombre de sièges sans toutefois atteindre la majorité. Dans les circonstances actuelles, une coalition est peu probable et n'est même pas nécessaire pour parvenir à ce résultat.

Il faut de puissantes motivations pour que deux partis politiques forment une coalition. Pour le parti en position dominante, il s'agit d'obtenir la collaboration d'un autre parti, surtout lorsque cet autre parti pourrait choisir une autre alliance. 

Au Royaume-Uni, en 2010, les libéraux-démocrates ont pu négocier simultanément avec les deux grands partis, les conservateurs et les travaillistes. On comprend facilement l'intérêt de ces deux partis à faire une proposition alléchante : le pouvoir en dépendait.

Or, les déclarations récentes des chefs du Parti libéral et du NPD font disparaître le principal incitatif à mettre sur pied une coalition. En affirmant qu'ils ne soutiendraient jamais un gouvernement conservateur, ils accordent nécessairement leur soutien à l'autre parti. En clair, le Parti libéral et le NPD se sont implicitement engagés à s'appuyer mutuellement, sans même qu'il ait été nécessaire de conclure une entente formelle ou une coalition. C'est donc, en toute probabilité, celui de ces deux partis qui obtiendra le plus grand nombre de députés qui devrait former le gouvernement. L'appui de l'autre de ces deux partis lui assurera le soutien d'une majorité de députés. Il en sera ainsi même si les conservateurs obtiennent le plus grand nombre de sièges, puisque les deux autres grands partis leur refusent leur appui.

Certains se demanderont s'il est bien légitime qu'un chef de parti qui est arrivé deuxième en nombre de sièges devienne premier ministre, comme ce fut le cas en Ontario entre 1985 et 1987 ou à la Chambre des communes en 1925. N'y a-t-il pas là trahison de la volonté du peuple ? Au contraire, le fait qu'un parti soit arrivé premier sans pour autant obtenir une majorité ne constitue pas une indication de la volonté du peuple, pris dans son ensemble, de porter ce parti au pouvoir. La démocratie, c'est le règne de la majorité et non le règne de la plus nombreuse des minorités. Les possibilités concrètes d'entente entre les différents partis reflètent les convergences entre les opinions des électeurs qui ont voté pour chacun d'eux et constituent un meilleur révélateur du sens du vote que le seul fait qu'un parti ait devancé les autres.