De toutes les crises que le monde a connues depuis 25 ans, jamais une situation aussi complexe que celle de l'afflux de migrants en Europe n'aura trouvé si peu ou de si mauvaises réponses.

Lorsque la crise des Grands Lacs a éclaté en 1994, et que c'est par centaines de milliers que les Rwandais fuyaient vers les pays voisins, nous étions prêts et organisés pour répondre aux besoins humanitaires d'un afflux de deux millions de réfugiés en l'espace de quelques semaines. Rien à voir avec les quelque 500 000 réfugiés et migrants qui sont arrivés en Europe depuis janvier.

La grande différence avec aujourd'hui, c'est qu'il y avait à l'époque une véritable réponse humanitaire.

Cela fait des mois que les agences humanitaires onusiennes présentes au Liban, en Jordanie et en Turquie sonnent l'alarme auprès des pays donateurs. Faute de moyens, le Programme alimentaire mondial a interrompu sa distribution d'aide aux réfugiés syriens qui vivent en dehors des camps en Jordanie et a réduit de moitié celle prévue pour les réfugiés dans les camps : 12,50 dollars par personne par mois ! Même pas trois McDo ! Faut-il s'étonner que ces réfugiés partent vers où ils espèrent trouver de l'aide ? La Turquie, qui a déboursé 800 millions de dollars pour les réfugiés, a lancé un appel à l'aide... resté sans réponse.

On a laissé la situation des boat people en Méditerranée se détériorer depuis 2013 et on continue à le faire. C'est le chaos le plus total.

Il faudrait pourtant réagir avant qu'il ne soit trop tard, car nous sommes entrés dans une période dangereuse où le discours sur la migration est devenu hautement toxique, pour ne pas dire complètement hystérique.

Les dirigeants européens, tétanisés par l'extrême droite, tiennent des discours anti-migrants à visée électorale.

Or, les études montrent que la migration est bénéfique à l'économie. Mais, étrangement, la migration est un des secteurs où les gouvernements écoutent le moins la recherche.

Les peurs sont compréhensibles : peur de perdre son identité et son travail, et peur de l'insécurité. Mais où sont les dirigeants qui combattent ses peurs ?

Non, les migrants ne viennent pas prendre le travail des nationaux. Le problème du chômage en Europe est structurel face à la compétition mondiale. Ils viennent plutôt faire le travail que les nationaux ne veulent pas faire.

Non, ils ne viennent pas pour bénéficier des avantages sociaux (ne versons pas dans l'angélisme, car certains le font, mais pas plus que les nationaux), mais pour travailler.

Selon l'OCDE, les migrants donnent 4400 dollars de plus par famille que ce qu'ils reçoivent de la part des gouvernements.

Ils renvoient chaque année dans leur pays d'origine 40 milliards de dollars, selon la Banque mondiale, pour mettre de la nourriture sur la table, envoyer les enfants à l'école et payer pour les soins de santé de leur famille. C'est trois fois l'aide au développement annuel.

La migration est un phénomène de notre temps et nous allons de plus en plus avoir besoin les uns des autres, la population de l'hémisphère Nord étant vieillissante et celle du Sud, jeune. Or, ces jeunes migrants vont travailler plus longtemps que les nationaux vieillissants, payer plus d'impôt qu'eux pendant plus longtemps et avoir moins besoin de soins de santé.

Peur de l'insécurité ? C'est compréhensible. Mais le groupe État islamique a malheureusement les moyens financiers d'infiltrer plus facilement et à moindre coût l'Europe que d'embarquer sur des bateaux de fortune en Méditerranée.

Peur de la perte d'identité ? Oui, c'est vrai, nous allons devoir apprendre à vivre avec des gens qui n'auront pas la même couleur de peau que nous, qui ne parleront pas la même langue, qui n'auront pas la même culture. Ce ne sera pas facile. La migration comporte de grands défis à relever. Mais de l'apathie peut sortir beaucoup de violence et d'instabilité.

Peur d'une « invasion déstabilisatrice » ? L'Europe, un continent d'un demi-milliard d'habitants, peut gérer l'intégration de 500 000 migrants. Avec une population de 4,5 millions d'habitants, le Liban accueille un million de réfugiés syriens... C'est dangereusement plus déstabilisant pour un pays situé au coeur de la tourmente régionale !

L'Europe doit ouvrir ses portes fermées à double tour. Les migrants économiques doivent pouvoir postuler chez eux pour des emplois à pourvoir dans des pays d'accueil. Les pays donateurs doivent financer les secours dans les camps de réfugiés et offrir davantage de postes de réinstallation.

Il faut des campagnes de sensibilisation non seulement auprès de l'opinion publique, mais aussi auprès des migrants, pour qu'ils comprennent qu'ils viennent vivre dans un pays qui n'a pas nécessairement les mêmes valeurs, la même culture et qu'ils doivent l'accepter. Tour cela est possible... avec du courage politique. Une denrée qui se fait malheureusement rare par les temps qui courent.

* L'auteure a été porte-parole du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, du Programme alimentaire mondial des Nations unies, de l'UNICEF et, tout récemment, de l'Organisation internationale pour les migrations.