Le dernier procès contre les trois journalistes d'Al Jazeera et la décision récente du juge de leur imposer trois ans de prison nous rappellent combien l'Égypte d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celle du printemps arabe, avec toutes les conséquences qui en découlent pour la justice et les procédures judiciaires du pays.

Vu d'ici, c'est une parodie de justice. Encore faut-il considérer la différence importante entre la situation du journaliste australien Peter Greste et celle de Mohamed Fahmy. D'une part, Peter Greste est australien et n'a pas la double citoyenneté égyptienne et australienne. Mohamed Fahmy, aux yeux des Égyptiens et, surtout, de la justice égyptienne, est un Égyptien, même s'il a renoncé à sa citoyenneté égyptienne au profit de la canadienne.

Le premier jugement, rendu il y a plus d'un an et demi, a été imposé à un Égyptien et non à un Canadien. Encore aujourd'hui, Fahmy, qui vient d'épouser une Égyptienne au Caire, reste, aux yeux des Égyptiens, de la même nationalité que le troisième accusé qui, lui, est exclusivement égyptien.

Dans le contexte de l'Égypte, il est malheureusement impensable que le juge ait pu rendre un jugement différent pour l'un des deux hommes. S'agissant de la libération de Greste, elle s'est produite à un moment plus favorable que maintenant, alors que le président Sissi est aujourd'hui en plein contrôle de ses moyens, que les États-Unis lui font la cour, qu'il continue à mener un combat acharné contre ceux qu'il considère comme « l'ennemi de l'intérieur », notamment dans le Sinaï, sans oublier le groupe État islamique chez ses voisins libyens, où plus de 500 000 Égyptiens travaillent.

Plus fondamentalement, le constat tragique de l'oppression croissante des libertés individuelles en Égypte ne fait que confirmer qu'il n'y a aucune raison pour le régime de faire preuve de complaisance envers les journalistes d'Al Jazeera, chaîne qui reste censurée en Égypte.

C'est tout cela, aussi triste que ce soit, que les célèbres avocats de Fahmy ont voulu ignorer, en espérant contre toute raison que leur notoriété et l'opinion internationale parviendraient à inverser le cours de la justice égyptienne.

La question du jour, c'est « que faire maintenant ? ». Sans vouloir revenir sur la naïveté de l'ancien ministre John Baird, parti comme « Marlbrough s'en va-t-en guerre » vers Le Caire, clamant qu'il ramènerait Fahmy dans ses bagages sans en avoir eu la moindre assurance, l'expérience n'en a pas été moins saumâtre.

Comme les autorités égyptiennes n'avaient pas la moindre intention de déporter Fahmy à cette époque-là, pas plus qu'aujourd'hui, le fait que John Baird ait déclaré que les accusations contre Fahmy ne seraient pas examinées au Canada n'a certainement pas joué un rôle particulier dans la procédure judiciaire et la décision du juge.

Il est toutefois intéressant de relier l'échec passé aux possibilités qui s'offrent encore aujourd'hui. L'idée de demander aux Égyptiens que M. Fahmy soit pardonné - le mot est important - impliquerait à ce stade que nous, Canadiens, reconnaissions que M. Fahmy est coupable, évidemment pas à nos yeux, mais bien à ceux des Égyptiens, et que nous demandions au général Sissi de le renvoyer au Canada.

Si c'est la démarche projetée, il est encore plus important que jamais de laisser de côté l'approche « mégaphonique ». Une fois de plus, c'est la diplomatie discrète qui s'impose.

Avant que le premier ministre du Canada n'intervienne dans cette affaire, il faudrait qu'on ait obtenu toutes les assurances que le pardon sera accordé.

En ces temps d'élections - des élections parlementaires vont d'ailleurs bientôt avoir lieu en Égypte -, il n'est pas étonnant que le cas Fahmy soit soulevé, fût-ce avec un profond sens moral. De l'autre côté, notre premier ministre n'est guère connu pour son engagement en matière consulaire, laissant cela au ministère des Affaires étrangères.

On ne peut qu'espérer que les négociations discrètes, pour ne pas dire secrètes, aboutissent pour qu'enfin le premier ministre soulève le cornet de son téléphone et puisse remercier le président Sissi. Après tout, dans son discours à la Knesset, M. Harper avait bien salué la contribution de M. Sissi à la stabilité régionale.

* Diplomate de carrière, l'auteur a représenté le Canada au Pakistan, en Égypte et en Indonésie. Il est aujourd'hui professionnel en résidence à l'École d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.