Souhaitons que la « solution » annoncée par M. Péladeau pour composer avec les conflits d'intérêts inhérents au contrôle qu'il exerce sur des entreprises de presse et de télévision ne soit que temporaire, le temps de faire mieux.

En effet, puisqu'aucune règle de déontologie en ce moment ne contraint un député de l'opposition à se défaire ou s'éloigner juridiquement de ses avoirs, M. Péladeau va au-delà de l'encadrement prévu en soumettant ses actions dans Québecor à la gouverne de mandataires indépendants.

Toutefois, il en ira autrement si M. Péladeau accède aux fonctions exécutives auxquelles il aspire. Cet arrangement de mandants-mandataires sera alors nettement insuffisant pour rassurer tous ceux qui estiment qu'une presse libre joue un rôle trop essentiel en démocratie pour que l'on tolère quelque menace ou anicroche à cette liberté, même lointaines et ténues.

La « solution » adoptée par M. Péladeau ne conviendrait même pas aux situations habituelles qui se posent lorsqu'un membre du gouvernement détient un patrimoine important ou des intérêts dans une entreprise commerciale oeuvrant dans une industrie autre que les journaux et la télévision.

Par contre, l'obligation que certains voudraient imposer à M. Péladeau de vendre tous ses intérêts dans Québecor n'est guère plausible et se bute à des obstacles bien réels.

Selon nous, la solution passe par un réarrangement de la structure de capital et de propriété de Québecor Média et de ses filiales. Rappelons que Québecor devient, année après année, une entreprise de télécommunications (plus de 90 % des flux monétaires) ; le secteur des médias écrits et audiovisuels compte ces dernières années pour moins de 22 % des revenus et seulement 3 % du bénéfice d'exploitation.

Voici donc les grandes lignes de notre solution : 

• Dans un premier temps, il conviendrait de regrouper les quotidiens, les magazines et TVA dans Groupe TVA, une entité déjà cotée en Bourse dont Québecor Média détient 68,4 % de participation économique (et 99,9 % des droits de vote). Ce transfert devrait s'effectuer à la juste valeur marchande.

• Pour financer la transaction, Groupe TVA émettrait de nouvelles actions ou effectuerait un placement privé, de sorte que la participation économique de Québecor chuterait sous les 50 % ;

• Les droits de vote détenus par Québecor dans Groupe TVA devraient être ramenés au niveau de l'intérêt économique de Québecor.

• Le conseil d'administration de Groupe TVA inc. serait dorénavant composé d'une majorité de membres indépendants.

Conséquence de ces opérations, les journaux et stations de télévision seraient, en droit et en fait, hors de portée de l'influence de M. Péladeau. Celui-ci, par contre, pourrait conserver son statut d'actionnaire de contrôle d'un groupe industriel dans les secteurs des télécommunications, du sport, du loisir et du divertissement, etc. Pour ce type d'entreprises, la mise sur pied d'une fiducie sans droit de regard suffit pour protéger l'intérêt public.

Les opérations suggérées ici sont complexes à exécuter, mais ces difficultés sont un vil prix à payer pour écarter tout péril pour notre vie démocratique. De plus, dès que l'actionnaire de contrôle, M. Péladeau, annoncerait son intention de procéder à cette transformation de Québecor, les risques d'interventions, de conflits d'intérêts, de complaisance et d'autocensure seraient fortement atténués.

Si « Paris valait bien une messe », le Québec vaut bien la perte de contrôle d'une entreprise médiatique.