Avec enthousiasme, Elizabeth May lançait cette semaine la plate-forme électorale du Parti vert du Canada. Son optimisme déclaré a de quoi étonner : à peine 5 % des électeurs ont l'intention de lui faire confiance. Même en Colombie-Britannique, les sondages lui donnent seulement 10 %.

Cette méfiance est paradoxale. L'environnement est une question centrale pour beaucoup de Canadiens, les jeunes en particulier. Et le fait que le Canada se traîne les pieds sur les questions environnementales aurait dû galvaniser le vote écologiste. Bien plus, la conférence de décembre à Paris, quasi aussi importante que celle de Kyoto, aurait dû favoriser le Parti vert.

Et pourtant... rien de cela : sondage pour sondage, l'élection de 2015 risque d'entrainer un recul pour May.

Le vote écologiste est d'abord l'affaire de l'Ouest : en 2011, le Yukon (19 %) et la Colombie-Britannique (8 %) dominaient le palmarès. Après, et contrairement aux idées reçues, l'Alberta (5 %) et l'Ontario (4 %). Le Québec (2 %) est quasi dernier. Pas étonnant qu'Élizabeth May passe l'essentiel de son temps sur la côte du Pacifique, notamment pour conserver le seul siège vert de la Chambre des communes : le sien.

Le plus souvent, la difficulté des verts est expliquée par le mode de scrutin. En appuyant les candidats verts, les électeurs écologistes risquent de diviser le vote progressiste et de favoriser indirectement les conservateurs, aux antipodes de leurs convictions. C'est le fameux vote stratégique.

Nul doute que la mécanique électorale joue généralement contre eux : les verts anglais n'ont récolté qu'un seul siège, et moins de 4 % du vote. Aux États-Unis, c'est pire : moins de 1 % du vote et aucun siège. En France, le vote à deux tours donne une belle chance aux écologistes : en 2012, 6 % du vote et 17 sièges. En Allemagne, un système électoral doté d'une forte composante proportionnelle leur donne 9 % du vote et 63 sièges ! 

Elizabeth May a raison de placer la réforme du mode de scrutin parmi les priorités de son parti.

Mais le mode de scrutin n'explique pas tout. Les verts se sont piégés. Ils donnent traditionnellement l'impression d'être unidimensionnels, capables de discourir sur un seul thème. May reconnaissait ce problème de communication : « Certains pensent que le Parti vert est le parti d'une seule idée : ce n'est pas vrai. » Dans la nouvelle plate-forme, ce parti, plus que jamais d'ailleurs, tente de faire la preuve qu'il est en mesure de parler de budget, d'inégalités sociales, d'immigration, de santé et de Radio-Canada, bref, qu'il est aussi multidimensionnel que les autres partis. Cela est cependant relativement nouveau.

Depuis une vingtaine d'années, le thème de l'environnement a été récupéré par tous les partis. Les néo-démocrates et les libéraux, bien plus que les conservateurs, y consacrent beaucoup d'importance. Stéphane Dion avait été audacieux et avant-gardiste - téméraire, diront certains en se rappelant les résultats - en consacrant une large part de sa campagne de 2008 à l'environnement, avec des engagements précis qui auraient changé l'économie du pays. À peu près partout, les grands partis, à des degrés divers, ont intégré la question environnementale. Elle n'est donc plus l'apanage des verts. Les plus critiques diront que les grands partis l'ont diluée ; d'autres, plus sarcastiques, diront qu'ils l'ont instrumentalisée.

Reste un fait incontournable : faire de la politique, c'est jongler avec plusieurs thématiques. Ni l'économie, ni l'environnement, ni la sécurité ne peuvent être traités comme des absolus, sans impact sur les autres enjeux. Gouverner, c'est faire des choix ; certains se combinent facilement, d'autres difficilement. Il est rare qu'une politique publique soit sans effets pervers. En ne jonglant qu'avec une balle, il est plus facile de la maîtriser, mais le citoyen ordinaire devine que des arbitrages doivent être continuellement faits.

En offrant une plate-forme plus variée que jamais, Elizabeth May tente probablement de transformer les verts du Canada, de groupe de pression qu'ils étaient pratiquement, en un « vrai » parti, acceptant du même coup les avantages et les désavantages de l'aventure partisane.