Depuis deux semaines, l'affaire Duffy fait quotidiennement les manchettes. Le déclencheur est connu : Nigel Wright, l'ancien chef de cabinet du premier ministre Harper, a remis au sénateur un chèque personnel de 90 000 $ pour le remboursement de « dépenses injustifiées ». Dans n'importe quelle administration privée, le dossier aurait été géré promptement, sans faire de vagues. Pourquoi en est-il autrement en politique, et surtout dans l'opinion publique ?

Pour beaucoup de citoyens, une affaire de ce genre devient le symptôme d'une manière d'agir, d'une culture administrative. Elle leur permet de se faire aisément un jugement : « on nous cache des choses ! », le « copinage », les « amis du régime ». Et puis : « Monsieur Harper le savait-il ? », « Pourquoi a-t-il nommé Mike Duffy au Sénat ? ». Les enquêtes de la GRC, les accusations au criminel, et le procès lui-même, bien avant que le jugement ne soit rendu, deviennent des preuves suffisantes pour plusieurs. Pour le premier ministre Harper, cette affaire est évidemment devenue un supplice, plombant la première partie de sa campagne.

Le malheur des conservateurs, c'est que d'autres sénateurs sont sur la sellette. Pire, le Sénat que le premier ministre avait promis de réformer est plus que jamais discrédité. Par extension, les citoyens en viennent à croire que les fonds publics sont généralement mal gérés et que le bureau du premier ministre se livre quotidiennement à des activités semblables. Et c'est par ce processus d'association - de quelques personnes à plusieurs personnes et de quelques dossiers à plusieurs dossiers - que le scandale peut venir à bout d'une équipe gouvernementale.

Paradoxalement, c'est probablement en voulant éviter la politisation et la médiatisation du dossier que celui-ci est devenu aussi dangereux.

Évidemment, il est normal que les partis d'opposition en rajoutent. Selon Justin Trudeau, par exemple, Ottawa est devenue un « marais de partisanerie politique ». Du côté des médias, c'est évidemment du bonbon.

Les scandales politiques provoquent parfois même des secousses sismiques dans le système partisan. En Italie, et même au Japon, tous les partis politiques ont été dans la tourmente ; certains sont disparus, d'autres refondus ou rebaptisés, tellement la marque partisane avait été malmenée. Même la gauche n'est pas épargnée ; le Brésil en fournit l'exemple le plus actuel. Au Canada, comment oublier le scandale des commandites qui a provoqué la chute de Paul Martin ? Et l'on oublie que la liste des premiers ministres touchés par des scandales est longue, depuis John A. Macdonald, avec le scandale du Pacifique.

Bien qu'ils soient souvent surdimensionnés par l'opposition, les médias et l'opinion publique, les scandales jouent parfois un rôle salutaire. Lorsqu'on essaie d'en retracer les tenants et les aboutissants, cela conduit à l'instauration de nouvelles normes ou procédures. La commission Charbonneau aura probablement cet effet, souhaitons-le du moins.

Par contre, ils peuvent aussi avoir des effets pervers. Au Québec, les scandales qui ont touché quelques municipalités ont provoqué un climat de méfiance à l'endroit de tous les élus municipaux. Plusieurs ont même été l'objet d'intimidations, de diffamations et de menaces. Plus généralement, c'est la présomption d'innocence qui est mise à mal.

Les scandales ont cependant un autre effet pervers : en suivant les tribulations du chèque de 90 000 $, on prête moins attention aux programmes des partis. Pendant les quatre prochaines années, on risque d'être étonné par les choix qui seront faits par le gouvernement. Rappelons-nous que le gouvernement du Canada dépense chaque année 280 milliards et que les choix qu'il fera auront des incidences importantes sur l'environnement, les familles ou les relations internationales du Canada. Et les plus inquiets d'un pareil détournement de l'attention publique vous poseront peut-être la « colle » suivante : considérant le montant du fameux chèque en proportion du budget fédéral, quelle part des 78 jours de campagne doit-on lui consacrer ? La réponse frappe : moins de 3 secondes !

Bref, on en a assez parlé. L'ajournement du procès réjouit certainement les conservateurs, mais cela devrait aussi recentrer la campagne sur l'essentiel.