Mercredi dernier, un article de La Presse faisait état de 97 « rapports de menace pour la sécurité » rédigés par les agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) entre janvier 2006 et mars 2015 : cas de rage au volant, d'attaques ciblées, d'hurluberlus et de violence physique.

À la lecture de cet article, je me suis dit que j'ai été chanceux ! Au cours de mes années passées à exercer la profession d'agent de renseignements, je n'ai jamais eu à craindre pour ma sécurité.

Vraiment ?

Il y a bien eu cette fois où un sujet d'enquête m'a dit que si je me trouvais avec lui en dehors du Canada, il n'hésiterait pas à me tirer une balle dans la tête. Mais, mis à part cette histoire, rien !

J'y pense... Il y a aussi eu la fois où un groupe de jeunes hommes en colère m'a ordonné de cesser d'embêter leurs amies. Selon eux, un homme ne devrait pas parler à des femmes.

Je me rappelle aussi lorsqu'un homme au passé criminel, rencontré dans un café, m'a avoué qu'il pensait à me poignarder avec le couteau qu'il dissimulait dans sa poche.

S'ils pouvaient vous parler en ce moment, mes anciens collègues vous raconteraient d'autres histoires du genre, chacune tirée de leur propre vécu. Il est vrai que ces histoires demeurent anecdotiques, voire drôles. Mais ces histoires ont un point en commun : aucun de nous n'a été adéquatement formé ou préparé à vivre de telles situations.

Contrairement à ce que Tahera Mufti, porte-parole du SCRS, a déclaré à La Presse, le personnel de cette organisation ne reçoit pas de formation approfondie pour faire face à ce genre de situation.

Combien de temps ai-je passé en formation pour apprendre à faire face à d'éventuelles menaces envers ma propre sécurité ? Trois jours, en plus d'un ou deux exposés donnés par un agent de renseignements qui n'a jamais mis les pieds sur le terrain.

Il est vrai que le travail d'agent de renseignements n'est pas aussi dangereux que celui d'un policier patrouillant dans les rues le soir et répondant à des appels d'urgence. Le travail d'un agent de renseignements s'apparente davantage à celui d'un policier-enquêteur, qui se promène de porte en porte, dans des quartiers parfois dangereux et agités, à la recherche de preuves ou de renseignements criminels. Comme lui, un agent de renseignements ne sait jamais sur qui il va tomber.

Le policier est armé, il a reçu une formation très spécialisée en autodéfense et il est pleinement conscient des risques auxquels il s'expose. Contrairement à un agent du SCRS, il ne se déplace jamais seul, étant toujours accompagné par un collègue. Il doit aussi s'enregistrer auprès de son service de répartition chaque fois qu'il quitte le bureau pour aller sur le terrain. « Aucun signe de vie ? J'envoie la cavalerie ! »

Un agent du SCRS ? Il n'est pas armé. Il n'est pas formé. Il n'a pas de répartiteur. Il est souvent seul. Quant à sa sécurité ? Bof ! Il n'est jamais rien arrivé de grave. Pourquoi s'occuper d'un problème qui n'existe pas ?

Non, les agents du SCRS ne sont pas des James Bond, des Jack Bauer ou des Ethan Hunt. Ils s'exposent toutefois, et ce de manière quotidienne, à des risques réels, sans avoir reçu de formation adéquate et sans aucun moyen de protection. Un jour, malheureusement, un drame arrivera, et le SCRS ne pourra pas se défendre en disant que ses agents y étaient bien préparés.