Le débat des chefs de jeudi a cela d'unique qu'il est plutôt rare au Canada qu'un tel événement survienne si rapidement dans la campagne. D'autant plus qu'il s'agit d'une campagne d'une longueur sans précédent dans l'histoire moderne du pays. Que retenir de ce premier débat ? Quelles en seront les conséquences sur la campagne ?

D'une certaine manière, les quatre chefs présents ont gagné. Stephen Harper a reçu les salves groupées de ses opposants avec brio, démontrant qu'il connaît très bien ses dossiers. À l'instar du clip vidéo de boxe diffusé plus tôt dans la journée du débat, Justin Trudeau a livré plusieurs attaques bien ciblées. Le chef du NPD, pour sa part, bien en maîtrise de ses dossiers, a contribué aux attaques, mais en prenant bien soin d'étaler les positions de son parti sur les différents enjeux. Enfin, Elizabeth May, la moins connue du lot, aura su se démarquer par son excellente préparation et la pertinence de ses propos.

En même temps, les quatre participants au débat ont tous perdu. Stephen Harper s'est souvent contenté de répondre aux questions de ses adversaires par des demi-vérités, que ceux-ci n'ont d'ailleurs pas manqué de souligner. Il a également fait preuve d'arrogance en boudant les points de presse d'après-débat. Justin Trudeau est resté plutôt superficiel lorsqu'il abordait les différentes composantes du programme de son parti. Son amour du Canada un peu « fleur bleue », évoqué dans son mot de la fin, n'a rien apporté de concret non plus. Thomas Mulcair était nerveux, ne sachant pas toujours où diriger son regard lors de ses interventions ; une nervosité qui s'est même invitée dans sa conclusion alors qu'il s'est perdu dans ses notes. Enfin, si Elizabeth May a connu un débat sans anicroche, au moment des points de presse, elle est apparue hyperactive et décousue, peut-être par excès d'enthousiasme pour sa bonne performance.

UN DÉBAT AUX CONSÉQUENCES LIMITÉES

Si aucun gagnant ou perdant n'émerge réellement du débat, à quoi donc aura-t-il servi ? Pour répondre à cette question, il faut d'abord considérer que le débat se déroulait en anglais et n'était pas diffusé à grande échelle. Il faut aussi souligner que le débat avait lieu au jour 5 d'une campagne de 78 jours, en plein milieu de l'été. La plupart des francophones ainsi que les vacanciers devront se contenter des analyses médiatiques pour apprécier la performance que les chefs y ont livrée.

En outre, il fut curieux de constater l'absence de Gilles Duceppe.

Pourquoi ne pas l'avoir invité alors qu'il représente un parti qui recueille à peu près les mêmes intentions de vote que le Parti vert à l'échelle canadienne ? Et à l'échelle québécoise seulement, le parti de Gilles Duceppe obtient le même score que celui de Stephen Harper dans les intentions de vote. Comment peut-on ignorer cette réalité ? Après tout, si le NPD est devenu l'opposition officielle en 2011, c'est bien grâce au Québec, qui a donné au parti 58 de ses 66 nouveaux sièges. Si, concrètement, Maclean's et Rogers n'ont de comptes à rendre à personne, les médias ont en principe un devoir de neutralité. Le fait de ne pas avoir regroupé l'ensemble des chefs à l'occasion de ce débat est un geste politique en soi.

Qu'à cela ne tienne, qui se souviendra du débat de jeudi soir, le 19 octobre prochain, au moment de faire son X sur le bulletin de vote ? Le marathon électoral est encore jeune. Au final, ce premier événement public de grande envergure profitera d'abord et avant tout aux initiés ainsi qu'aux stratèges des partis politiques, qui auront du matériel afin d'ajuster le tir pour la suite.