À la suite de la parution de l'article concernant les chutes de patients à la résidence Cooke, je me suis demandé pourquoi, tout d'un coup, il y aura une enquête de la part du ministère de la Santé. Force est de reconnaître que les chutes des patients font malheureusement partie de la vie des personnes âgées, que ce soit à domicile ou dans les résidences.

Les raisons en sont multiples : affaiblissement général dû à l'âge, prise de médicaments qui ralentissent les réflexes, déficits cognitifs, pertes sensorielles diverses et aussi l'introduction institutionnelle de la philosophie du « milieu de vie », qui a remis en question la mise en place de contentions chez les personnes à risque de chute.

On ne contentionne plus... mais on refuse d'accepter les chutes. Cette philosophie veut tellement que la personne hébergée vive en institution comme si elle était chez elle qu'on en est arrivé à occulter les raisons de son institutionnalisation et à nier les dangers de ne pas encadrer les risques de chute.

Je voudrais être bien comprise et ne pas laisser croire que toutes les personnes à risque de chutes devraient être contentionnées, je pense plutôt qu'il faudrait un éclairage différent sur la pertinence de le faire.

La famille a souvent une décision à prendre au sujet du port de la contention, car c'est elle qui doit signer le formulaire d'autorisation. Or, la contention a mauvaise presse, car elle comporte des risques, mais les accidents par port de contention sont numériquement minimes par rapport au nombre phénoménal de chutes, avec leurs conséquences parfois dramatiques, allant jusqu'au décès de la personne.

Quand la personne âgée ne peut plus décider pour elle-même et qu'on se pose la question : « Qu'est-ce qui est le mieux pour elle ? », ne devrait-on pas se demander ce qu'elle choisirait si elle pouvait encore le faire ?

Choisirait-elle d'être en sécurité attachée ou de tomber en ne l'étant pas ?

Quand, pour refuser une contention, on évoque la dignité de la personne, je me demande s'il est plus digne de laisser une personne tomber que de prévenir la chute. Est-il plus digne de prendre le risque de fractures avec son cortège de douleurs et d'invalidité subséquente, ou de se résigner à des mesures contraignantes de sécurité ?

Le dilemme est là : liberté ou sécurité...

Nous viendrait-il à l'idée de laisser un enfant en haut d'un escalier, sans surveillance ? C'est un peu ce qu'on fait quand on décide que la personne à risque de chute doit « vivre librement ».

Quant au nombre d'employés présents dans un service, il n'empêche malheureusement pas les chutes. Qui n'a pas vu en institution, au moins une fois, tomber quelqu'un sous ses yeux sans pouvoir intervenir ? Tant qu'il y aura des patients qui circuleront librement, il y aura des chutes, quel que soit le nombre d'employés et quelles que soient les précautions prises pour les éviter. On peut certes en diminuer le nombre par une bonne évaluation des risques et un plan de soins adéquat, mais on ne pourra les éliminer complètement de la réalité quotidienne.

Trouver quelqu'un au sol est certes traumatisant pour une visiteuse, mais ce fait ne constitue pas un indice de négligence de la part du personnel ou de mauvais soins. Ce n'est là que la vie des personnes âgées, avec ses risques.

S'il y a une enquête sur cette chute en particulier, ne serait-il pas pertinent de revoir la philosophie des milieux de soins, prendre en compte la lourdeur de plus en plus marquée de la clientèle admise, plutôt que de continuer à véhiculer la notion de « milieu de vie », qui a peut-être atteint, sinon dépassé, son seuil de faisabilité ?