Alors que la Cour suprême des États-Unis ouvre le mariage aux couples de même sexe, cette question a été réglée au Canada il y a dix ans. Or, un comité spécial, présidé par le professeur Alain Roy, propose des réformes majeures à notre droit familial. À la lumière du développement historique chez nos voisins américains, deux questions se dégagent.

Premièrement : à qui le droit familial doit-il s'appliquer et qui réclamera son inclusion ? Le jugement aux États-Unis est le fruit d'un long processus de lobbying, de litiges et de sensibilisation mené par des militants pour les droits des gais et des lesbiennes. Or, si un mouvement social peut se réclamer des droits, il peut être injuste de limiter nos réformes aux groupes clairement constitués. Le comité québécois propose l'arrivée de l'enfant commun aux conjoints de fait comme le déclencheur pour la vocation protectrice du droit de la famille.

Cette approche serait-elle trop restrictive ? Elle exclurait plusieurs situations qui risquent d'engendrer l'interdépendance économique et de produire des injustices lorsque survient la rupture du couple. Nous n'avons qu'à penser aux soins fournis, souvent par des femmes, à l'enfant de leur conjoint de fait ou à ses parents. Peuvent s'y ajouter les sacrifices pour la carrière de l'autre. Qu'en est-il des investissements dans le recours infructueux à la procréation assistée, par définition un choix conjoint ? Pour certains, c'est la cohabitation d'une certaine durée, plutôt que l'enfant commun, qui signale la probabilité des investissements familiaux, voire des sacrifices.

Le contraste avec le mouvement gai est frappant. Il n'y a pas d'Association québécoise pour les conjoints qui se sont occupés de leurs beaux-parents. Il n'y a pas non plus de défilé de la fierté de celles dont les carrières ont souffert à cause des traitements d'infertilité.

Bref, il n'y a pas d'organisation politique pour toutes les activités familiales dont bénéficie la société et qui produisent néanmoins des conséquences économiques.

C'est à juste titre que le comité présidé par M. Roy a reconnu que l'acte solennel du mariage ne distingue pas les rapports intimes qui sont pertinents au droit familial de ceux qui ne le sont pas. Nous devrions toutefois nous demander si la distinction proposée par le comité, soit la présence de l'enfant des conjoints, en est le meilleur substitut.

Seconde question de l'expérience américaine : lorsque le droit familial s'avère trop restrictif, étend-on les régimes actuels aux nouvelles configurations ou en fabrique-t-on de toute pièce ? Aux États-Unis, le droit matrimonial, tel que développé par les législateurs et interprété par les tribunaux, s'appliquera désormais aux gais et aux lesbiennes qui se marient. La simplicité est séduisante.

En revanche, au Québec, le comité propose un tout nouveau mécanisme, la prestation compensatoire parentale. La prestation que l'un parent devrait à l'autre serait calculée par une formule complexe. Vu que le public ne maîtrise pas les éléments actuels du droit matrimonial, la prudence serait de mise avant de complexifier la donne par cet ajout. De plus, un nouveau régime ne pourrait s'interpréter selon la jurisprudence acquise.

Il n'y a pas de doute que notre droit des années 80 ne dessert pas les pratiques familiales contemporaines. Les travaux impressionnants du comité nous invitent à réfléchir sur les sources de la vulnérabilité familiale de nos jours et aux solutions justes et simples qui y répondent.