Nous vivons un moment démoralisant de la politique fédérale.

En dépit de toutes les critiques fortes et fondées exposées contre le projet de loi antiterroriste du gouvernement (C-51), il est sur le point de devenir loi. Cette législation mine nos droits et libertés et porte atteinte à chaque citoyen ainsi qu'à la société libre que nous chérissons tous.

Bien avant le vote final attendu prochainement au Sénat, un choeur de voix importantes l'avait dénoncé : les anciens premiers ministres Jean Chrétien, Paul Martin, Joe Clark et John Turner, cinq anciens juges en chef de la Cour suprême, sept anciens solliciteurs généraux et ministres de la Justice, trois anciens membres du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS), et plusieurs autres. Le message était chaque fois le même : C-51 a des failles importantes et met en danger sans raison les libertés civiles des Canadiens.

Le projet de loi C-51 relaxe les lois sur le partage d'information entre les organismes gouvernementaux, ce qui met en danger votre vie privée et vos données personnelles. Il est inquiétant de voir le SCRS doté de pouvoirs quasi policiers d'« interruption » ou d'action d'après des renseignements de sécurité et l'introduction de nouveaux pouvoirs de « détention préventive » à l'égard de gens n'ayant commis aucun acte criminel.

Il est incroyable de constater que ce projet de loi permet à des juges d'approuver des activités violant la Charte des droits. Ces nouveaux pouvoirs sont particulièrement alarmants si on songe que le Canada est un des seuls pays de l'OCDE ne supervisant pas de façon indépendante ou publique la conduite secrète de ses organismes de renseignement.

Enfin, dans cette loi, le flou des définitions prête le flanc à de troublantes questions sur qui peut être ciblé et sur ce qui peut être censuré. Par exemple, la loi cherche à contrer non seulement le « terrorisme », mais encore ce qu'elle décrit comme des « menaces à la sécurité du Canada » au sens large. Quelle extension donnera-t-on aux « menaces » à la « sécurité » du Canada ? Ce projet de loi introduit aussi de nouvelles interdictions sur le discours faisant la promotion du terrorisme ou le glorifiant. Cela veut-il dire qu'un message sur Facebook ou un « gazouillis » sur Twitter traitant de terrorisme fera l'objet de poursuites ?

Comme beaucoup d'autres qui se sont exprimés contre cette législation des conservateurs, je suis atterré de la voir adoptée avec l'appui total du caucus libéral.

La pensée qu'un jour le parti de Pierre Trudeau renierait la Charte des droits et libertés ne m'avait jamais effleuré l'esprit.

Bien sûr, nous trouvons importante notre sécurité et nous voulons avoir les ressources et outils nécessaires à sa préservation si des terroristes nous menacent. Mais nous chérissons aussi notre liberté - celle de vivre comme nous le voulons, d'exprimer nos dissidences, de vivre sans interférence et d'atteindre nos objectifs. Nous avons trouvé un moyen, dans le droit actuel, de faire coexister ces deux valeurs, comme il se doit. Avec sa sécurisation à outrance, le projet de loi C-51 mine cet équilibre.

De légitimes inquiétudes quant à la sécurité ne sont pas un passe-droit pour ordonner une réduction de la protection de nos droits fondamentaux, dont l'exercice exige justement cette sécurité. Toute solution doit respecter le nécessaire équilibre entre sécurité et liberté, un équilibre qui justement nous permet de continuer à forger le type de société que nous voulons.

Il est triste que le projet de loi C-51 deviendra bientôt une loi, mais je ne crois pas qu'il soit trop tard pour le révoquer. Des citoyens et une société civile engagés ont démontré qu'ils pouvaient triompher s'ils étaient déterminés. Nous devons défendre nos droits et la société que nous voulons. Nous devons nous battre pour révoquer C-51.

Honorons le travail des artisans de notre Charte. Veillons à préserver le Canada que nous chérissons. Ramenons l'équilibre au coeur de notre démocratie.