Monsieur le premier ministre,

Je vous écris, ne serait-ce que pour le respect que l'on doit à mes deux grands guerriers. Des guerriers comme vous n'en avez jamais vu, monsieur, beaucoup plus braves et courageux que tous les hommes et femmes composant les plus grandes armées.

Deux petits hommes de 8 et 10 ans, tous deux autistes de haut niveau, capables de fonctionner dans «notre société», et qui doivent aller à la guerre un jour après l'autre. Affronter leurs pairs qui, dans la cour de récréation, ne savent pas trop y faire avec ces enfants bizarres, affronter les cahiers, travaux et ateliers qui, comme des monstres, semblent vouloir les avaler tout rond. Pourtant, leurs yeux sont grand ouverts et leurs oreilles droites telles des antennes paraboliques, mais rien n'y fait, ils ne comprennent pas. Le sens de notre monde, la manière dont nous avons de leur expliquer ne leur convient pas, mais que peut-on y faire?

Heureusement il existe des décodeurs! Ces décodeurs se trouvent dans les écoles. On les nomme techniciens en éducation spécialisée, enseignants en adaptation scolaire, psychoéducateurs, orthopédagogues. Il y a encore cinq années de cela, ces décodeurs étaient disponibles. En nombre insuffisant, certes, mais ils y étaient! Peu à peu, mes garçons ont d'abord dû partager le leur avec quelques compagnons de classe.

Puis l'année suivante, ce fut avec la classe au complet. Et puis quand on jugeait le décodeur requis, c'est-à-dire quand mes fils n'allaient pas bien et que quelqu'un devait répondre à la situation (ah bon! je ne savais pas mes fils autistes à temps partiel). Cette année, le décodeur de mon plus jeune garçon dessert maintenant le tiers des 500 élèves de son école...

À la suite de quatre années d'un parcours scolaire en classe régulière où les bas se sont succédé plus que les hauts, quatre années à tenter d'intéresser mon garçon à son parcours scolaire et à chercher désespérément le moyen de rehausser son estime de soi, et ce, malgré les échecs trop nombreux, il y eut la lumière au bout du tunnel. Mon grand petit homme de 10 ans a eu le grand privilège, cette année, de fréquenter une classe spécialisée avec moins de compagnons avec lui, des «décodeurs» présents à temps plein, un professeur en adaptation scolaire, une orthophoniste et même une psychologue.

Eh bien, vous savez quoi? Il a alors cessé de se sauver pour aller se cacher dans les placards et les toilettes pendant la classe, il a aussi cessé d'avoir une attitude agressive envers nous ainsi que ses compagnons et il a recommencé à se mettre au travail. Du premier cycle, où il pataugeait depuis presque quatre ans, il s'est maintenant reclassé au niveau du deuxième cycle en l'espace de trois mois et il a accompli les mêmes travaux que les élèves des classes régulières.

Prendre les moyens

Je vous explique tout ça pour que vous puissiez constater par vous-même que l'autisme n'est pas une question de capacité intellectuelle, pourvu que l'on puisse fournir un décodeur à ceux qui ont ce besoin. Auriez-vous l'idée d'enlever les fauteuils roulants à des personnes quadriplégiques? Vous riez? Pensez-y, plutôt.

«Maman, je fais de mon mieux», me répète souvent mon grand fantassin. Oui, effectivement, il le fait, mais, de toute évidence, son mieux ne sera plus suffisant si vous mettez à exécution votre coupe à blanc dans notre système scolaire. Vous nous préparez une bien drôle de relève pour les années à venir, mais de cela, vous ne vous sentez certainement pas concerné. Vous serez sans doute trop occupé à quémander à une des rares préposées de votre CHSLD votre petit jus d'orange dilué...

Mes garçons sont des battants, leurs professeurs et tous les professionnels qui les entourent, ainsi que nous, parents. Mais pour combien de temps encore?

M. le premier ministre, vos coupes ont des noms et des visages.