À quoi sert un conseil municipal, sinon à questionner et à évaluer les différentes propositions de dépenses et de contrats de la Ville? Si les élus sont responsables et, donc, imputables pour les contrats qu'ils accordent, il est impératif qu'ils puissent prendre pleinement connaissance des documents avant de voter. Or, à Montréal, il arrive souvent que l'on présente aux conseillers les documents au mieux quelques heures avant le vote, au pis en pleine séance. Impossible alors de prendre connaissance du dossier, voire de le lire avant de voter!

Si, à Montréal, la plupart des dossiers parviennent aux conseillers avec un délai minimal d'entre trois et dix jours avant la tenue du conseil, l'administration actuelle a régulièrement recours à la pratique dite de la «séance tenante» ou du «papillon». Comme la loi et la Charte de la Ville n'imposent au comité exécutif que la seule obligation de fournir à l'avance le libellé de l'item à voter (ex.: accorder un contrat de X$ à l'entreprise Y), celui-ci a tout le loisir de présenter les documents pertinents (détails de l'appel d'offres, copie du contrat, analyse des services, contextualisation avec les décisions antérieures, etc.) à la toute dernière minute. Et il ne s'en prive pas.

Depuis la dernière élection, en novembre 2013, le total de la valeur des contrats ainsi accordés dépasse les 170 millions. L'exemple le plus troublant - sinon choquant - a eu lieu en mars dernier, lorsqu'un contrat de 99 millions a été déposé séance tenante. Malgré les appels répétés de plusieurs conseillers à reporter le vote au conseil suivant afin de pouvoir le lire, le contrat a été présenté... et adopté grâce à l'appui d'une majorité de conseillers liés à l'administration Coderre. Si tous peuvent accepter qu'il y ait des divergences de vues sur la pertinence dudit contrat, personne, en toute bonne foi, ne peut accepter de voter sans l'avoir lu.

La pratique des dépôts séance tenante n'a rien de normal. À l'étranger, elle est rare, mal vue, voire carrément interdite. C'est le cas à Paris, à Lyon et dans toutes les villes françaises où la loi oblige à ce que les points à l'ordre du jour soient accompagnés des documents pertinents, et ce, au moins cinq jours avant la tenue du conseil. En leur absence, il est impossible d'en débattre.

Plus près de chez nous, à Toronto et à New York, le règlement exige également l'inclusion de tous les documents pertinents avec un délai minimum se calculant en jours. Pour y déroger, par exemple dans un cas demandant d'agir en urgence, il faut un débat spécifique sur la question et l'approbation des deux tiers des élus.

On pourrait certainement envisager un règlement qui interdirait la pratique des dépôts séance tenante, mais rien n'empêche d'ici là le leadership politique et la bonne volonté. L'arrivée de nouvelles administrations aux villes de Québec et Gatineau en offre de beaux exemples. Chacune a tout simplement - et honorablement - renoncé à cette pratique. Les dépôts séance tenante sont devenus rarissimes. Et lorsque utilisée, cette pratique ne vise jamais à octroyer d'importants contrats pour éviter les questions des conseillers ou, pis encore, pour se réserver l'avantage purement partisan d'annoncer de tels contrats en conférence de presse.

Fort de l'appui de nombreux collègues, je présenterai aujourd'hui au conseil municipal une motion visant à exiger que l'on renonce à cette pratique, afin que les conseillers reçoivent les documents suffisamment d'avance pour analyser l'information, vérifier les faits, poser des questions... et obtenir des réponses. C'est maintenant tout le conseil municipal qui doit formuler cette exigence minimale de bonne gouvernance, de vigilance et de transparence.