La mémoire niée, c'est l'histoire de Rima Elkouri (La Presse, 4 avril). C'est l'histoire de son grand-père qui a fui Mardin, celle de sa famille et des centaines de milliers d'Arméniens, dont mon grand-père, ses frères, ses cousins. C'est l'histoire d'un peuple qui s'est fait refuser son histoire, 100 ans de souffrances, de mal et de peine.

C'est aussi mon histoire, cette rocambolesque histoire de nomade sédentaire que j'ai vécue au travers de différents belligérants et qui a mené ma famille de Mardin, en Syrie, au Liban et finalement ici, au Canada.

C'est l'histoire d'une histoire que l'Histoire ne doit jamais oublier...

Je suis né au Liban et j'ai déménagé au Canada lorsque j'avais 2 ans. Mon attachement au Liban est plus émotif qu'autre chose; à chaque occasion, mes parents nous rappellent à moi et mes frères à quel point le Liban est beau, le Liban est riche de culture. Mais jamais je n'ai entendu mon père dire: «Ah! L'Arménie!» ou encore: «Tu devrais voir Mardin!» D'attachement à l'Arménie, je n'ai que les souvenirs d'un très court séjour dans une école arménienne de Montréal, des dimanches à l'église de Notre-Dame-de-Nareg, et les trois dernières lettres de mon nom de famille.

Et pourtant, aujourd'hui, je ne suis pas Libanais, je ne suis pas Québécois, je ne suis pas Canadien. Je suis Arménien. Aujourd'hui, le sang qui coule dans mes veines est le même que celui qui a coulé dans les rues d'Anatolie, il y a 100 ans, celui d'un million et demi d'Arméniens morts pour la seule raison qu'ils étaient Arméniens.

Aujourd'hui, je suis père de deux magnifiques enfants. Ils font partie de la quatrième génération de notre famille depuis l'exode de Turquie. Pour eux, Beyrouth ne voudra probablement rien dire, pas plus que Mardin ou Erevan. Sauf si la mémoire est avouée.

Si ce génocide tombe dans l'oubli, si je ne leur parle pas avec fierté du Liban, de l'Arménie, de l'horrible histoire vécue par notre famille et celle de tant d'autres, de ce crime contre l'humanité, alors jamais ils ne sauront d'où ils viennent, jamais ils ne sauront qui ils sont.

Ne jamais oublier, Hayem Yes.