Les médias ont à peu près passé sous silence le décès de l'abbé Jean-Claude Turcotte, ancien vicaire d'une paroisse de l'est de Montréal. Ils ont par contre beaucoup parlé du départ du cardinal-archevêque, la dernière et plus éclatante incarnation du personnage. Il est vrai que ces titres et ces honneurs pouvaient paraître comme des accidents de parcours, tellement ce prêtre était resté, dans l'âme, le pasteur plein de sollicitude, le frère aimant et l'ami fidèle.

Rien dans son parcours et ses ambitions ne destinait Jean-Claude Turcotte à la dignité de prince de l'Église, la plus haute avant celle de pape. Mais s'il était prince de l'Église, c'était de l'Église du peuple, mais aussi de l'Église souffrante, vivant dans sa chair l'interminable et dure punition qu'on lui fait subir sans nuance pour le rôle qu'elle a joué chez nous.

Le défunt manifestait sur ces questions une absolue discrétion. Espérait-il qu'on dresse un jour un bilan plus équitable de l'action historique de l'Église du Québec ? Comment vivait-il les interrogations que beaucoup de fidèles se posent sur ce qu'ils perçoivent comme un éloignement du dogme romain des pressantes préoccupations contemporaines ?

S'il lui est arrivé d'évoquer, dans la solitude du grand âge, les joies de la paternité dont il avait fait le sacrifice ou encore la douleur que lui avait infligée le départ de certains amis, en rupture avec leur état sacerdotal, les remises en question dogmatiques n'étaient ni dans son caractère ni dans l'idée qu'il se faisait des fonctions qui lui avaient été confiées. Pour lui, tout se sublimait dans son allégeance indéfectible envers l'Église du Christ, ce qui ne l'empêchait pas de se montrer sensible à certaines situations difficilement vécues autour de lui ou alors simplement embarrassantes.

Je pense en particulier à son intervention pour faire tomber certaines réticences à la tenue d'une rencontre privée de Sa Sainteté Jean-Paul II avec ma famille. Quelqu'un dans l'entourage du pape s'était ému du fait qu'Audrey et moi avions tous deux divorcé avant notre mariage. Je sais devoir au cardinal cette inoubliable rencontre qui s'est avérée un moment de grâce. Assis derrière son bureau, Jean-Paul II conversait tout naturellement avec Alexandre et Simon, s'informant, comme le ferait un grand-père attentif, de leurs études à l'Externat Mont-Jésus-Marie. Ce qui était encore plus frappant, c'est la relation d'étroite amitié et de touchante affection qui unissait le pape polonais à l'ancien vicaire de la paroisse Saint-Mathias.

On ne pouvait pas ne pas aimer Jean-Claude Turcotte. Il trouvait dans le message évangélique plus que dans les discussions de haute théologie la source de son empathie pour les milieux populaires où, dès le départ, il a demandé à servir. Au-delà des relations qui se sont nouées à la faveur de nos fonctions respectives, il est rapidement devenu un ami très proche, de commerce très agréable, avec une touche d'humour teinté d'une affection qui ne s'est jamais démentie jusqu'à son dernier bonjour à l'Hôpital Marie-Clarac.

Il avait un coeur en or et faisait preuve en toutes choses de simplicité et d'un solide bon sens. Ce n'est pas lui qui aurait reçu ses visiteurs officiels, juché sur le fauteuil-trône que l'un de ses prédécesseurs avait fait disposer dans une salle d'apparat de l'archevêché.

Oui, c'était un prince, mais, avant même qu'on lui en décerne le titre protocolaire, il l'était par la ferveur de son sacerdoce, la sincérité de sa foi et l'amour qu'il a prodigué aux Québécois.