La tragédie du vol Barcelone-Düsseldorf aurait pu impliquer n'importe quelle autre compagnie aérienne... européenne.

Ce qui est en cause, c'est le système de recrutement des futurs pilotes prévalant en Europe. Ce système fait en sorte que le désespoir et le manque d'expérience se marient pour pousser la sécurité des vols sur une pente dangereuse.

L'arrivée des lignes aériennes bon marché («low cost») a entraîné l'exploitation éhontée des pilotes, le souci de faire de l'argent passant avant la sécurité des passagers. Voici le pénible cheminement que devra suivre un futur pilote en Europe:

D'abord, il doit débourser une somme avoisinant 55 000 euros (75 000$) afin de suivre sa formation de base. Au terme de cette étape, le candidat a cumulé 250 heures de vol et obtient une licence de pilote professionnel avec une qualification pour les avions multimoteurs ainsi que pour le vol aux instruments.

Comme les compagnies dites «majeures» ont un taux de roulement du personnel extrêmement faible, notre apprenti pilote doit se tourner vers les filiales au rabais. Pour être en mesure d'offrir les prix les plus bas, ces sociétés abaissent les conditions de travail de leurs employés, y compris celles des pilotes. Y voyant la seule chance de réaliser son rêve, notre candidat entre en contact avec une firme de placement qui travaille pour les compagnies au rabais.

Il devra débourser à nouveau environ 50 000 euros (68 000$) afin d'obtenir une qualification sur Boeing ou Airbus (normalement, les compagnies paient la formation de leurs pilotes). Le candidat signera de plus un contrat stipulant qu'il accepte de voler sans salaire pour une période de temps ou un nombre d'heures de vol déterminé.

Au bout de ce chemin de croix, le jeune (ou la jeune) pilote est fin prêt(e) à prendre son envol, avec des passagers à bord. En résumé, voici son pedigree:

- premier officier sur Airbus ou Boeing;

- expérience d'environ 250 heures de vol (les compagnies d'Amérique du Nord exigent quelque 4000 heures);

- dette de plus de 100 000 euros;

- ne reçoit aucun ou peu de salaire en échange de son travail;

- travaille le jour, la nuit, le week-end et les jours fériés;

- comme il est nouveau dans l'industrie, personne ne connaît son profil psychologique. Pourtant, à l'occasion, il peut se trouver seul aux commandes.

Les conséquences d'un tel système pourraient être catastrophiques dans un avenir proche. En effet, ces pilotes ne connaissent pas les règles élémentaires du vol. Ils ne savent pas reconnaître un décrochage et ignorent d'autres manoeuvres de base permettant à un aéronef de voler sans le support du système automatique. Pourtant, ils se retrouvent aux commandes d'un avion de ligne, responsables de la vie de 300 passagers. Un jour, ils deviendront commandants de bord.

En Amérique du Nord, nous n'en sommes pas encore là... mais ça s'en vient à grands pas. Déjà, nous sommes envahis par ces pilotes étrangers prêts à accepter des salaires moindres offerts par les compagnies «low cost» et celles exploitant de plus petits appareils. Même s'ils n'ont cumulé que 500 ou 600 heures de vol, comme ils détiennent un PPC (Pilot Proficiency Check) de Boeing 737 ou d'Airbus, les employeurs fermeront les yeux sur leurs compétences déficientes.

Allons-nous laisser cette gangrène nuire à la sécurité de nos vols? À une époque où la technologie a atteint la quasi-perfection, j'ai peine à croire qu'on sacrifie la sécurité pour éviter de payer le salaire d'un copilote compétent (50 000$). Le consommateur qui magasine son billet au rabais doit être informé de ces risques.

Personnellement, comme voyageur, sachant ma sécurité et celle de ma famille en jeu, je serais heureux de payer mon billet 50$ ou 100$ de plus pour que nos vies soient dans les mains de pilotes compétents.