Le projet de loi 20 saccage complètement le pacte social qui lie la profession médicale à la population et au gouvernement. Par ce contrat social, qui a toujours été plus implicite qu'explicite, la société accordait à la profession médicale le droit exclusif de pratiquer la médecine, l'autonomie professionnelle, le devoir d'autorégulation, la responsabilité du maintien de l'utilisation et de l'expansion de son corpus de connaissances et d'habiletés techniques ainsi qu'un statut social particulier et des revenus conséquents.

En retour, la profession s'engageait à pratiquer la médecine avec compétence, expertise, compassion et altruisme - mettant en priorité les intérêts du patient -, et à s'impliquer dans les problèmes qui touchent la société, sa santé et son bien-être. Or, la société a perdu confiance dans la capacité de la profession médicale de respecter ses devoirs et lui retire progressivement ses privilèges. Cette érosion progressive qui a débuté au début des années 70 menace de transformer la profession médicale en métier.

Un fossé grandissant s'est creusé entre la profession médicale et la société qu'elle sert. Pour le grand public, la profession médicale est devenue une entreprise privée dont les membres et le corporatisme de leurs associations n'ont comme souci que les conditions de travail. Elle s'assimile donc aux métiers, qui produisent des biens et services pour servir leurs propres intérêts et sont donc régis par l'État. Il ne faut pas oublier que les soins de santé représentent un engagement de la société à prendre soin de ses citoyens malades. Une maladie non traitée, un handicap ignoré et une souffrance non soulagée ont un impact sur toute la communauté et diminuent non seulement les patients, mais toute la communauté. La médecine est donc un bien public et non un bien de consommation marchandable.

Le débat qui fait rage au Québec, depuis le dépôt, à la fin novembre, du projet de loi 20, témoigne de la colère, de la démoralisation et du cynisme provoqués par cette mainmise gouvernementale sur l'organisation de la vie professionnelle des médecins, qui seront forcés d'augmenter leur productivité. Ce projet de loi nous alerte, en outre, à une érosion du statut social de la médecine et à une marginalisation de son influence sur les politiques qui touchent la santé du public et le système de santé.

La médecine, un bien public 

La profession médicale est la principale accusée pour la faillite de notre système de santé. Elle est donc assiégée et sur la défensive, n'offrant par le biais de ses associations professionnelles aucune proposition constructive, mais elle n'est pas seule responsable du dysfonctionnement. Il faut toutefois admettre que les médecins sont responsables, pour une bonne part, des dépenses de santé, car ils répondent aux besoins de la population qui, de mieux en mieux informée, réclame plus de services. Par contre, les médecins créent souvent de faux besoins. Par exemple, aux États-Unis, le surdiagnostic et le surtraitement représentent 30% des dépenses de santé.

La population a été prise en otage par le débat acerbe qui oppose la profession médicale au ministre. Un sondage du Journal de Montréal révèle que les deux tiers des Québécois estiment que le réseau a besoin de «changements fondamentaux». Malgré des divergences de vues, les deux parties doivent négocier et tracer la voie à suivre pour sauver, d'une part, la profession médicale qui risque fort de devenir un métier et, d'autre part, pour épauler l'État, qui doit assumer ses responsabilités envers la société.

L'avenir de notre système de santé dépendra non pas d'une gestion efficace et efficiente qui veille à ce que la prestation de soins se fasse comme si les soins de santé étaient une commodité soumise aux règles du marché, mais avant tout de l'engagement de la profession et de ses associations professionnelles à reconquérir le terrain perdu en redonnant à la médecine sa dimension de bien public et en renouvelant ses engagements envers la société.