Parmi les propositions mises de l'avant par le mouvement contre l'austérité au Québec, la pleine imposition des gains en capitaux est certainement une des mesures fiscales les plus facilement réalisables qui rapporterait plusieurs centaines de millions au gouvernement.

On défend qu'un tel crédit d'impôt profite à tout le monde, incluant la classe moyenne, et qu'il stimule l'investissement. Est-ce vraiment le cas? Nous croyons au contraire que ce crédit constitue un privilège fiscal dont bénéficie un petit nombre de contribuables fortunés et qu'il encourage la spéculation plutôt que l'investissement. C'est certainement pour cela qu'elle est si énergiquement contestée par les partisans de la «rigueur» du gouvernement Couillard.

Un gain en capital est un revenu tiré de la vente d'un actif. Actuellement, le régime fiscal considère que seulement 50% des revenus tirés de ces gains sont imposables alors que les salaires, par exemple, sont imposables eux à 100%. Qui profite de ce crédit fiscal?

Selon les statistiques fiscales, 85% des gains en capital sont déclarés par 7300 Québécois ayant des revenus de 100 000$ et dont les deux tiers font des revenus de plus de 250 000$. Cette élite représente 0,2% des contribuables. Si on imposait pleinement le gain en capital provenant de la vente des actifs financiers, on peut évaluer que cette caste aurait versé 628 millions de plus à l'impôt selon les dépenses fiscales de 2013. Impossible de défendre ce crédit au nom des intérêts de la classe moyenne, car en plus de priver l'État de revenus imposants, c'est une mesure fiscale inéquitable.

Un crédit d'impôt nécessaire?

Peut-être, cependant, que ce crédit d'impôt est nécessaire pour des raisons économiques? D'aucuns prétendent que son abolition nuirait aux revenus de retraites et à l'investissement. Pour la retraite, il existe déjà des mécanismes très généreux qui mettent à l'abri de l'impôt les revenus provenant des rendements de placements d'épargne retraite. La pleine taxation des gains en capitaux ne remet pas en question ces avantages fiscaux.

On soutient aussi que l'abolition de ce privilège nuirait à l'investissement. Cet argument est basé sur une confusion entre placement et investissement. L'investissement est une dépense qu'effectue une entreprise afin d'augmenter ou d'améliorer ses capacités productives; on dépense aujourd'hui pour mieux produire demain. La plus grande partie de cet investissement est financée à même les revenus des entreprises, une partie moindre est financée par le biais d'un endettement et le recours au financement par la vente d'action est, de loin, le moins répandu.

Le placement, quant à lui, correspond à l'acquisition d'un titre procurant un rendement financier; c'est au moment de la vente du titre que l'on fait un gain en capital. L'écrasante majorité de ces acquisitions et ventes se font sur le marché secondaire où l'on s'échange des titres qui sont déjà en circulation, en espérant faire un gain ou afin d'équilibrer notre portefeuille.

Le lien entre placement et investissement est ainsi ténu. En fait, certaines formes de placements, associées à la spéculation, peuvent nuire à l'investissement. Par exemple, les entreprises consacrent une partie de leurs revenus pour racheter leurs propres actions sur les marchés secondaires.

Au final, les gains en capitaux sont une ponction sur l'activité économique qui n'a donc rien à voir avec l'investissement, mais tout à voir avec une élite qui profite de la spéculation pour s'enrichir. D'ailleurs, si les entreprises québécoises souhaitent vraiment investir, l'IRIS a montré récemment qu'elles dorment en ce moment sur plus de 100 milliards de liquidités qu'elles pourraient utiliser.

Alors que les salaires stagnent, la légitimité même de cette rente financière est contestable. Récompenser ceux qui en profitent par le biais d'un cadeau fiscal annuel de plus de 628 millions est carrément indéfendable. L'abolition de ce privilège est un geste simple, une mesure réaliste, équitable et au bout du compte rentable. Pourquoi se priver de ces revenus?