Les débats qui font rage depuis le dépôt du projet de loi 20 mettent en exergue les disparités qui existent dans les pratiques médicales. D'un côté, la loi vient restreindre l'accès à la procréation assistée, alors que ce type de pratique a démontré la productivité du corps médical. De l'autre, elle vient définir des niveaux minimaux d'activités, suggérant une improductivité des médecins.

Pourtant, il est évident que le plus grand frein à la productivité médicale en hôpital (touchant particulièrement les spécialistes) est la paucité des ressources paracliniques. À titre d'exemple, plusieurs hôpitaux ont créé des «congés mobiles statutaires», c'est-à-dire l'imposition de nouveaux jours fériés pour réduire leurs coûts. Et plus de congés imposés veut dire réduction des services! Pour l'exercice en cabinet privé, le gouvernement n'a jamais imposé de contrainte ou d'exigence, rendant l'évaluation actuelle très difficile, voire impossible et biaisée.

Selon moi, le débat sur la productivité est faussé parce qu'on occulte le discours sur la pertinence des soins. Et ceci est vrai tant pour la médecine familiale ou de première ligne que pour la médecine spécialisée. La pertinence a deux aspects: la nécessité médicale (scientifique et démontrable) et la priorisation selon les ressources monétaires disponibles.

La médecine n'est pas une science aussi exacte que ce que les gens voudraient bien qu'elle soit.

Plusieurs actes diagnostiques et thérapeutiques ne sont pas appuyés par des études, mais sur l'expérience médicale et des recommandations d'experts. Autrement dit, il n'existe pas un livre qui dit spécifiquement ce qui doit être fait pour chaque maladie et, en conséquence, la pertinence est souvent difficilement quantifiable.

Notons cependant que l'organisation des soins a plus d'impact que la productivité médicale «individuelle» que semble exiger le ministre. À titre d'exemple, le programme québécois de dépistage du cancer du sein a permis en quelques années de diagnostiquer une majorité de cas à un stade précoce et plus curable, avec un impact sur la santé générale des femmes. Ce type de programme a prouvé sa pertinence et démontre qu'il est préférable au dépistage qui devrait être fait par les médecins de première ligne dans leur cabinet privé.

Ainsi, réorganiser la médecine familiale et les soins de première ligne en les intégrant dans des programmes organisés pour le dépistage et l'initiation d'un traitement de diverses maladies (cancer du côlon, cancer de la prostate, diabète, hypertension, etc.) aurait certainement un effet plus marqué sur la santé générale de la population que l'accès individuel à un médecin de famille.

Confusion des genres

L'évaluation de la pertinence a aussi sa place en médecine spécialisée en définissant le professionnel ou le groupe de professionnels le plus habilité à offrir certains soins. Il est même possible de concevoir qu'en revoyant ainsi les façons de faire, on puisse réduire le nombre de médecins nécessaires pour prendre soin de la population québécoise.

Le projet de loi 20 joue dans la confusion des genres. Plutôt que d'utiliser l'invective et le dénigrement, il devrait être l'occasion de discuter de ce que le Québec veut vraiment faire du système de santé: soit une organisation qui obéit aux impératifs politiques et intérêts corporatistes, soit un lieu collégial qui respecte les acteurs en les payant à leur juste valeur et en mettant à profit leur compétence, tout en leur demandant de collaborer à une mutation qui pourrait les questionner sur leur rôle spécifique.

C'est la décision qu'ont à prendre le ministre Barrette et le gouvernement Couillard. Mais la population aura aussi à prendre des décisions: soit accepter les décisions politiques et actions syndicales qui empêchent l'évolution du réseau de la santé, voire préférer un système du «chacun pour soi» qui mise sur le privé et les droits individuels sans objectif général de santé de la population, soit exiger un système de la santé qui, à l'instar d'Hydro-Québec, peut agir avec assez d'indépendance pour assurer un fonctionnement optimal à partir d'un budget voté par le gouvernement.