Une société civilisée en est une qui apprend à vivre avec ses contradictions. La nôtre n'a jamais consenti autant de ressources pour répondre à la «demande», de par sa nature insatiable, en services de santé. Comment peut-on en être arrivé, toutes autres choses étant égales par ailleurs, à être si bien, et pourtant, à en croire certains échos, à se sentir si mal?

Il existe d'énormes opportunités dans la réflexion qu'imposera la nécessité d'apprendre à vivre selon nos moyens, d'autant plus nécessaire que ce système, laissé à lui-même et pulsé par tous ses fournisseurs, n'aura de cesse de s'emporter à un rythme toujours croissant.

Il est important que nous fassions collectivement les choix qui nous permettront de préserver un système public et universel.

Nous faisons face à une médecine à deux vitesses: la marche avant, nourrie par les prouesses technologiques, et la marche arrière, représentée par l'insensibilité morale des professions de la santé, médecine en tête, qui sont incapables de s'organiser pour définir et rencontrer les «besoins» de la population de façon efficace et efficiente.

La profession médicale, comme gardienne privilégiée de guérite, a l'obligation fiduciaire de voir à ce que ses troupes, largement nanties, considèrent l'intérêt général avant les intérêts particuliers. Ces derniers permettent de fragmenter les services de mille et une façons, avantageuses pour les dispensateurs, mais délétères pour la population, et ce, tant au niveau de l'accessibilité que de la continuité si importante des soins.

La réorganisation de la première, mais aussi, souvent, de la dernière ligne, passera inévitablement par la réorganisation des autres. Tout adepte de la subsidiarité que l'on puisse être, remplacer des professionnels qui, en moyenne, prennent leur retraite à l'âge de 72 ans par d'autres qui le font à 55 ans, ressemble plus à un problème en devenir qu'à une solution.

Après une longue carrière administrative comme gestionnaire du réseau de la santé et comme consultant, ayant été entre autres directeur des services professionnels et hospitaliers de l'Hôtel-Dieu de Montréal, je suis retourné il y a onze ans à la pratique de la médecine familiale. J'avais préalablement contribué à la réflexion et/ou à la mise sur pied, de différents GMF à travers la province.

À ce chapitre, et comme beaucoup d'observateurs, j'ai été également témoin, soit du rendement décevant de plusieurs GMF et, pour d'autres, de leurs tristes dérives. Depuis mon retour à la pratique, après quelques années d'urgence, de soins intensifs et d'hospitalisation, je suis devenu médecin responsable d'un GMF en Gaspésie que j'ai quitté il y a deux mois, las des déconstructions syndicalistes d'orientations qui avaient été initialement citoyennes.

À 70 ans, j'ai maintenant l'immense privilège de servir plus de 1600 patients, dont plus de 700 sont vulnérables. Mon fonctionnement informatisé ainsi que mon organisation (infirmière, infirmière auxiliaire, secrétaire affectée à la gestion documentaire, réceptionniste et gestionnaire) me permettent, sans subvention, d'offrir des suivis systématiques (diabète, maladies pulmonaires, douleur, etc.) et des soins à domicile incluant un service de garde en soins palliatifs, en collaboration avec les infirmières du CLSC. J'offre un service d'accès adapté quotidien pour toute la population du secteur. De plus je continue d'assurer une couverture croisée, avec trois autres collègues souhaitant le faire, pour cette même population.

Le ministre Barrette a besoin de tout notre appui pour mener à bien ses démarches. Sur son chemin de Damas, il se trouve singulièrement outillé pour résister aux déferlantes des figures imposées du corporatisme et d'autres groupes d'intérêt.