Dans la foulée du débat soulevé par les préoccupations concernant notre éthique collective, il me semble exister beaucoup de confusion en ce qui concerne la signification des principaux concepts auxquels on se réfère quand on parle de cohérence éthique, notamment le rapport entre valeur, norme et idéologie.

Ces trois concepts sont fondamentaux, et c'est le jeu de leur interaction qui façonne, pourrait-on dire, l'éthique générale de notre société. La base fondamentale de notre éthique collective est l'ensemble des valeurs auxquelles nous adhérons. Elles ne sont pas négociables.

Le faisceau de valeurs auquel je réfère est une fleur à cinq pétales. D'abord les valeurs fondamentales: liberté, égalité, respect de l'intégrité physique et psychologique des personnes, etc. Fondamentales, ces valeurs sont absolument essentielles et celles ou ceux qui ne les respectent pas méritent d'être combattus avec la plus farouche détermination.

Les valeurs sociales, généralement traduites en droits socioéconomiques, expriment notre volonté de caractériser l'idée que l'on se fait, chez nous, de cette commune humanité. La souveraineté du citoyen est la valeur fondamentale qui fonde toute société démocratique. La présomption d'innocence, le droit de se faire représenter par un avocat et le droit à un procès juste et équitable sont des valeurs qui visent à empêcher l'arbitraire.

Enfin, les valeurs culturelles témoignent de la spécificité d'une collectivité et sont la condition de sa durée. Au Québec, c'est notamment le cas de la langue française, établie au titre de langue officielle et commune de communication.

Ce qui caractérise ce bouquet de valeurs, c'est qu'elles sont partagées par la plupart des êtres humains formant notre société, et qu'elles devraient être à la base de tout débat concernant notre cohérence éthique.

Exprimées dans l'absolu, sans contenu concret, ces valeurs ne signifient cependant pas grand-chose. La liberté et l'enfermement des femmes sont incompatibles. Le respect de l'intégrité physique et les mutilations génitales sont irréconciliables. L'esclavage et la liberté sont antinomiques. La discrimination en fonction de différences est une blessure infligée à l'idée d'être humain. Les valeurs prennent donc - ou perdent - tout leur sens par notre façon de les actualiser.

Le droit, base de la société

Cette actualisation, qui leur donne une vie réelle, se réalise surtout par le droit, c'est-à-dire l'ensemble des lois et règles qui nous gouvernent. C'est l'univers de la norme. Instable, la norme définit la portée d'une valeur en temps réel. C'est donc sur le terrain de la norme que notre éthique collective gagne ou perd en cohérence. Au cours des 50 dernières années, nous avons réalisé une révolution éthique qui nous place dans le peloton de tête des sociétés les plus évoluées.

Or, ces gains concrets d'humanité sont menacés. Ils sont l'enjeu d'âpres débats idéologiques visant à interpréter le droit qui nous gouverne. En Occident, c'est le néolibéralisme économique et ses avatars qui imposent actuellement partout leur loi. Pour contrebalancer l'influence de l'idéologie dominante, les sociétés démocratiques permettent cependant aux citoyens d'exprimer des préférences idéologiques autres, ce qui met la table pour le débat démocratique. Les intégristes de tout poil ont très bien saisi l'aubaine.

Les débats auxquels sont aujourd'hui confrontés les Québécois sont importants et lourds de sens pour l'avenir de notre nation. Ils ne doivent pas conduire à un affaiblissement de notre cohérence éthique au nom d'un relativisme moral ne dissimulant en fin de compte que la faiblesse des consciences fragiles ou frileuses.

Une société, une nation, n'est pas la superposition de 100 cultures qui tentent de s'accommoder. Ce communautarisme-là ne fait progresser personne et il est le plus sûr chemin vers l'affrontement. Ce qui fait progresser une société, c'est l'intégration des différences enrichissantes à un tronc éthique commun et solide.