Le National Center on Sexual Exploitation a décidé de lancer une campagne politique afin de boycotter le film Fifty Shades of Grey de Sam Taylor-Wood. Cette campagne rappelle évidemment celle, récente, lancée en France par «Osez le féminisme!» contre Gone Girl de David Fincher.

Dans un communiqué, deux militantes du mouvement y dénonçaient «une valse sans fin qui justifie en fait les pires arguments masculinistes», le principal personnage féminin y incarnant selon elles «le cliché patriarcal de la perversion féminine idéale, qui utilise la violence psychologique pour humilier et blesser son mari». Le film utiliserait «la rhétorique essentialiste éculée de la femme perverse» et serait «construit comme s'il était facile pour les femmes, aux États-Unis, de porter plainte, d'être crues et secourues, mais aussi comme si les femmes pouvaient facilement y commettre de fausses accusations en matière de violences machistes».

Aujourd'hui, le National Center on Sexual Exploitation affirme que «Hollywood vend Fifty Shades of Grey comme une histoire d'amour érotique, mais il s'agit en fait d'abus sexuel et de violence envers les femmes». Et la directrice du Centre d'ajouter: «L'industrie du porno conditionne les hommes et les femmes à accepter le fait que la violence sexuelle est divertissante.»

Il y a quelque chose de profondément inquiétant dans ce type de déclarations, qui ne suscite visiblement aucune indignation véritable dans l'ensemble du mouvement féministe.

D'une part, le moralisme puritain. D'autre part, l'indifférenciation entre ce qui relève du politique, et ce qui relève de la liberté de création artistique, cinématographique, littéraire, etc. Il semble que, pour certaines, ravagées par la toute-puissance de la bien-pensance, le féminisme soit désormais étranger au pluralisme. Nouvelle Église, nouveau dogme: un certain féminisme nous invite (ou plutôt, nous impose) du haut de ses positions, qui se veulent hautement morales, à rester dans le droit chemin.

Un archétype confortable

C'est une chose de vouloir éradiquer les formes démocratiques et politiques de la violence masculine. C'en est une autre que de chercher à débusquer dans la littérature, le cinéma ou toute forme de création artistique ce qui n'est pas conforme à l'idéal utopique et subjectif de quelques milliers de militantes.

La sexualité féminine dans toute sa violence, dans toutes ses formes, y compris les plus perverses; la représentation des femmes comme les égales des hommes, pouvant être tout aussi dominatrices ou manipulatrices, voilà le nouveau blasphème. À l'image de certains dévots fanatiques qui manifestent contre une certaine représentation de leur Dieu, les féministes victimaires appellent au boycottage de toute représentation de «la femme» qui ne correspond pas au confortable archétype de la victime.

Chacun est parfaitement libre de juger par lui-même de la qualité d'une oeuvre ou de sa médiocrité. Mais personne n'a à dicter à tel ou tel auteur la «bonne manière» de représenter «l'autre sexe». Faudra-t-il demain boycotter tout ce qui, des tragédies shakespeariennes à Desperate Housewives, en passant par Choderlos de Laclos, Pier Paolo Pasolini, Vladimir Nabokov, le Marquis de Sade, Sarah Kane ou Doris Lessing, ne va pas dans le sens d'une victimisation essentialiste du sexe féminin?

Oui, il y a de véritables victimes de viols et de violences conjugales. De véritables victimes de la misogynie. L'inégalité des sexes est une réalité sociale pesante de nos démocraties et la violence contre les femmes est un fléau. Mais concevoir toute représentation de la violence sexuelle ou de la domination masculine - au théâtre, au cinéma, dans la littérature, les arts plastiques, les performances, la photographie, la danse, etc. - comme une légitimation de cette violence témoigne d'une inculture abyssale. Il s'agit d'une insulte à l'intelligence et à la raison. Le féminisme mérite mieux.