Plusieurs de mes collègues qui avaient arrêté leur choix de carrière sur la médecine familiale reconsidèrent sérieusement leur ambition initiale. Et ce serait mentir de vous dire que je n'ai pas aussi douté.

Le but de mon texte n'est cependant pas tourné vers les chiffres, l'argumentation et l'hostilité. Il se veut plutôt une fenêtre sur ma vision du métier d'omnipraticien, au travers de mes yeux candides et encore naïfs, mais surtout, au travers de mon coeur, de mes valeurs, de mes principes.

Laissez-moi vous présenter deux patients typiques de ceux et celles qui donneront un but, et même un sens, à ma pratique.

Il y a d'abord Monsieur S., 45 ans. Raison de consultation: diarrhées sanglantes. Temps estimé de la consultation: 15 minutes.

Mon questionnaire minutieux étant terminé, l'examen physique s'entame sans particularité, jusqu'au moment où j'annonce à mon patient que je dois effectuer un toucher rectal pour vérifier la présence de sang et éliminer une masse suspecte dans son rectum. L'anxiété se fait alors automatiquement sentir chez lui, et je décide donc d'aborder cette peur que je perçois. J'apprends ainsi que Monsieur S. a vécu des abus sexuels une grande partie de son enfance et que, pour lui, un tel examen peut réactiver les craintes et l'humiliation qu'il a jadis vécues.

Temps total de la consultation: le temps que cela prend à un être humain d'être confronté à ses vulnérabilités et d'exprimer à son médecin des blessures profondes, non évaluables par un examen physique. Ajoutons à cela le temps que prendra un bon médecin pour recevoir ces confidences, rassurer son patient du mieux qu'il le peut et pour porter sur lui, l'instant d'un moment, la peine viscérale qu'un autre humain lui manifeste.

Permettez-moi ensuite de vous présenter Monsieur J., hospitalisé pour une exacerbation aiguë de sa maladie pulmonaire obstructive chronique. Temps estimé de la consultation: 20 minutes.

Il persistait à fumer, et ce, malgré les nombreux avertissements des médecins. J'ai alors pris le temps de lui demander ce qui le retenait de cesser le tabac. Sa réponse: la solitude. Les cigarettes qu'il fumait tout au long de la journée étaient pour lui le seul plaisir qu'il s'accordait, tout en se disant que ce comportement allait écourter sa vie et que, de toute façon, personne ne le pleurerait.

Temps total de consultation: le temps que cela prend pour faire la distinction entre l'objectivité des symptômes et des causes de la maladie, d'une part, et la subjectivité de l'expérience du malade, d'autre part. Ajoutons à cela le temps que le soignant reconnaisse la réalité même de l'épreuve de la maladie, du corps abîmé, et de l'identité bouleversée du patient.

Le meilleur remède

La compassion et l'empathie; la connexion avec l'être de l'autre et les efforts pour comprendre son vécu, la façon de lui prendre la main en signe de solidarité, ne seront jamais quantifiables en unités temporelles. C'est notre meilleur remède. Je l'utiliserai tout plein, sans limites et surtout, sans soucis du temps que cela me prendra.

M. le ministre, vous avez le pouvoir de couper mon futur salaire de 30%, vous vous donnez le droit de dicter ma pratique future, mais jamais vous n'atteindrez la vocation de mon métier: la considération pour mes patients.

Merci d'avoir réveillé mon courage en me faisant prendre conscience des batailles qui doivent être menées pour que notre société soit meilleure.

Merci de me rappeler que le soin requiert une attention portée au non-sens et aux souffrances multiples que la maladie implique pour la personne qui en est affectée.

Mais surtout, merci de m'avoir rappelée que mes forces et faiblesses, mes qualités et mes défauts, mon savoir-être, auront toujours prévalence sur mon souci du débit.

Si un jour vous êtes à la recherche d'un médecin de famille, Dr Barrette, j'aurai une place pour vous. Je vous fais la promesse de prendre le temps non seulement pour les soins que je vous accorderai, mais également pour porter attention aux souffrances que la maladie impliquera pour vous. Cela prend du temps et du dévouement.