À M. Marc Ranger, porte-parole de la Coalition syndicale pour la libre négociation.

Lisant votre texte («Non à l'appauvrissement du Québec») dans La Presse du 31 décembre dernier, je n'ai pu résister à une idiosyncrasie générée par près de 40 ans passés dans le monde de l'enseignement, soit d'en faire la correction.

Non pas qu'il n'ait aucune qualité, auquel cas je ne m'en serais pas donné la peine. En fait, vous y démontrez une habileté certaine à jongler avec des signifiants et à les aligner en des assemblages percutants qui peuvent même sembler justes et cohérents au profane ou au militant. Un correcteur moins amène pourrait néanmoins suggérer que votre texte est une sorte de Lego de la pensée, un collage de termes pêchés dans le répertoire lexicographique de l'indigné de la base.

Je vous accorde aussi quelques points pour le sens du timing, l'actualité se faisant chiche en ce temps des Fêtes, quoique vous tombiez quelque peu à plat après l'adoption du projet de loi no 3, cette ignominie qui vous a mis au monde. Vous rêvez sans doute, comme nombre de syndicalistes, au pouvoir de la rue et au tintamarre des casseroles qui feront reculer sinon tomber ce gouvernement honni. Je crains fort toutefois que le miracle de 2012 qui a provoqué la chute du gouvernement Charest ne puisse être dupliqué. De toute façon, le PQ de madame Marois proposait une pharmacopée analogue et la CAQ serait sans doute encore plus intransigeante envers vous et vos alliés.

Cela dit, les défauts de votre texte l'emportent largement sur ses qualités. D'abord son titre. Mais non, M. Ranger, malgré le «massacre à la tronçonneuse» opéré par le gouvernement Couillard, le Québec sera encore plus riche en 2015 qu'il ne l'était en 2014 (hausse prévisible du PIB) et les dépenses gouvernementales continueront de croître, bien qu'à un rythme moindre. Appauvrissement zéro!

En second lieu, les exagérations y pullulent: vos «attaques en règle contre la classe moyenne», votre «effritement de nos programmes sociaux» et votre «récession» inéluctable, pour ne citer que quelques-uns des navrants clichés qui sont votre pain et votre beurre, n'ont aucun fondement dans la réalité. Je conçois que vous viviez dans un monde fantasmagorique où les programmes sociaux se financent sans douleur et où le discours syndical a force de loi. Dans le Québec réel, où une majorité de travailleurs ne sont pas syndiqués et où une minorité de contribuables paient la plus grande partie des impôts, vos affirmations sont perçues pour ce qu'elles sont: les élucubrations d'un songe-creux.

Michel le Magicien, de la Boîte à surprises, montrait au téléspectateur ébahi des chapeaux et autres objets «vides de tout trucage». Votre texte, quant à lui, est vide de tout contenu. Où sont les faits qui devraient en former l'ossature, M. Ranger? Il ne suffit pas d'affirmer une chose pour qu'elle se pare des attributs de la réalité et de la vérité. Entre autres, je ne vois pas où vous voyez de l'«équité intergénérationnelle» dans le discours des opposants à l'«austérité».

Enfin, je ne vous pardonne pas vos procès d'intention et votre salissage par association. La bonne foi se présume et jusqu'à preuve formelle du contraire, les individus qui forment notre classe politique et notre gouvernement se sont lancés dans cette difficile aventure parce qu'ils désirent promouvoir le bien commun. Qu'ils en aient une conception différente de la vôtre, tout axée sur le corporatisme syndical, ne vous autorise pas à les présenter comme des crapules. À lui seul, ce vice malséant suffirait pour qu'on vous refuse la note de passage.