Lettre ouverte à Hubert T. Lacroix, président directeur général de CBC\Radio-CanadaComme bien des Québécois issus de l'immigration, à mon arrivée au Québec, il y a une quarantaine d'années, j'ai beaucoup appris sur le Québec et le Canada, sur leur histoire, leurs spécificités, leurs artistes, leurs classes politiques, leurs attraits touristiques et culturels, leur savoir-vivre, leur diversité ethnique, leurs défis et leurs potentialités, à travers son diffuseur public, Radio-Canada.

Avant même d'en avoir une connaissance académique, Radio-Canada a fait une partie de mon éducation et m'a fait découvrir ce magnifique et vaste pays qui allait devenir le mien. Et même si aujourd'hui, on a accès à des dizaines de chaînes de télévision, je demeure fondamentalement une radio-canadienne.

Je m'adresse à vous, M. Lacroix, dans l'espoir que vous ayez un dernier sursaut de fierté et de courage pour vous tenir debout et défendre l'institution dont vous êtes le leader. On comprend que tous les partis politiques qui se succèdent à la tête de nos gouvernements, à Québec comme à Ottawa, cherchent à réduire les dépenses publiques pour notre soi-disant bien commun et celui des générations futures. Cette stratégie de révision budgétaire est légitime dans la mesure où elle ne fait pas que brasser des structures et qu'elle ne s'attaque pas aux services directs aux citoyens.

Cependant, cet effort de compressions dans lequel vous vous êtes vous-même engagé ne doit pas se faire au détriment des missions essentielles de l'État ou des sociétés qui en relèvent, comme Radio-Canada, surtout quand cela pénalise directement et ouvertement l'un des peuples fondateurs du Canada, les francophones, à qui vous bouchez l'horizon de leur langue et leur culture, au plan régional, national et international. C'est exactement ce que vous faites avec votre conseil d'administration, composé essentiellement de gens d'affaires pour qui la culture compte, de toute évidence, pour si peu.

Un saccage

Aujourd'hui, c'est la citoyenne fédéraliste en moi qui manifeste sa désapprobation face à un tel saccage. Comment pouvez-vous réduire à une peau de chagrin le seul diffuseur public qui relie le Canada d'un océan à l'autre, une institution hautement symbolique qui permet à tous Canadiens - au-delà de leurs différences - de se connaître et de se reconnaître dans ce vaste pays qui est le nôtre ? Comment peut-on détruire une institution si chargée de notre mémoire collective, de notre histoire, de notre spécificité et de notre avenir collectif ?

Radio-Canada est aussi notre fenêtre sur le monde. Combien de fois ai-je rencontré des Québécois à Paris, à Dakar ou à Rabat, heureux de voir les nouvelles au Téléjournal de Radio Canada ? Et que dire des reportages de nos correspondants à l'étranger qui nous présentent l'actualité internationale à partir d'une perspective proprement québécoise et canadienne ?

M. Lacroix, je joins ma voix à celles de dizaines de milliers de Québécoises et Québécois pour vous demander de ne pas mettre en péril la mission même de Radio-Canada. Vous pouvez revoir son offre de service à la lumière des profondes transformations qui s'opèrent dans notre paysage médiatique afin de lui permettre de bien se positionner, face à la concurrence, comme un véritable chef de file des chaînes généralistes.

Je vous invite à faire preuve de leadership et de vous engager dans une véritable réforme institutionnelle qui va la propulser vers l'avant et la hisser parmi les grands diffuseurs publics des pays occidentaux. Si vous ne vous sentez pas de taille pour relever un tel défi, faites la chose la plus honorable dans les circonstances : démissionnez.