De nombreux citoyens n'ont pas de médecins de famille et quand ils en ont un, ils sont incapables de le voir pour des soins pressants et essentiels. Ils sont alors dirigés vers des cliniques sans rendez-vous ou - comble d'ironie - vers des urgences, pour des soins qui ne devraient tout simplement pas être prodigués en ces lieux.

Au début des années 2000, le gouvernement a tenté de colmater des brèches là où il manquait des médecins, c'est-à-dire dans les hôpitaux, les urgences et certains centres de soins de longue durée. Le gouvernement a imposé aux jeunes médecins de famille de consacrer un nombre important d'heures de pratique aux établissements de santé. Résultat, une pénurie de temps offert en clinique de première ligne en a découlé.

Des efforts ont été entrepris pour corriger les problèmes de la première ligne: augmentation du nombre d'étudiants dans les facultés de médecine, hausse de la rémunération, mesures incitatives pour prendre en charge plus de patients et sommes additionnelles investies pour soutenir du personnel déjà autonome.

Pendant ce temps, la situation n'a guère changé: l'accessibilité aux soins est déficiente, l'engorgement est perpétuel et le réseau de la santé coûte de plus en plus cher.

Au début des années 2000, le gouvernement a pourtant tenté une expérience des plus prometteuses en mettant sur pied les groupes de médecine familiale (GMF). Les médecins sont encouragés à travailler en nombre suffisant avec des infirmières et des intervenants communautaires.

Des sommes colossales ont été investies dans ces initiatives, mais les résultats demeurent mitigés. Les heures d'ouverture sont insuffisantes, les heures travaillées divisées entre plusieurs lieux et le partage de tâches entre les divers professionnels de la santé toujours déficient.

On sent une réelle fatigue et impatience chez les décideurs comme dans la population face à l'insouciance et au manque de responsabilité de certains leaders syndicaux et professionnels qui refusent de prendre acte, de trouver des solutions structurantes et d'agir.

Les GMF nécessitent une réelle attention, un partage de tâches, une gestion de qualité et une implication de tout instant. Les médecins doivent y travailler à temps plein, des gestionnaires de clinique pourraient aider à l'organisation et les infirmières devraient être mises à contribution d'une meilleure façon, et leurs tâches élargies.

Il est temps de responsabiliser certaines infirmières et de leur permettre de faire certaines tâches. Cette responsabilisation permettrait de libérer les médecins de famille du travail qui pourrait être accompli par d'autres.

L'idée d'une infirmière de famille par patient est des plus logiques en ces temps changeants où le médecin spécialiste est maintenant considéré comme ultra-spécialiste et que le médecin de famille fait en partie le travail accompli par des spécialistes.

Le statu quo ne peut pas être maintenu et des changements doivent émerger. La population est en droit de le demander.

Dans le Harvard Business Review, les Drs Thomas Lee et Toby Cosgrove soutiennent que pour résoudre les problèmes d'organisation en santé, il importe de s'éloigner d'un système organisé autour du médecin et se rapprocher d'un système construit autour d'une équipe et dirigé vers le patient. Les médecins doivent avoir un rôle central à jouer dans cette réorganisation, et sans leur apport, toute réforme est vouée à l'échec, mais le changement est nécessaire.

Comment amener le changement dans un contexte de résistance et d'intérêt corporatiste?

J'ose penser qu'une stratégie indirecte qui privilégie le travail d'équipe et qui est dirigée vers le patient est plus gagnante pour l'intérêt commun qu'une stratégie directe qui encourage la production, la facturation et les intérêts de certains.

La première ligne devrait être centrale dans le réseau de la santé et dicter la direction des soins de santé. Mais pour ce faire, elle doit mieux s'organiser et être plus responsable envers la population desservie.