Lors de la dernière intervention militaire d'Israël à Gaza, en 2009, le ministre israélien des Affaires étrangères de l'époque avait comparé le conflit à la guerre autrefois menée par l'Amérique contre le Japon. Nul besoin de procéder à une coûteuse invasion sur le terrain; il suffirait en effet de bombarder l'ennemi depuis les airs, afin de l'amener à se rendre.

Quelque peu outrancière, cette comparaison passée n'est pas totalement erronée. La démarche consistant à infliger autant de dégâts que possible depuis les airs a toujours été, et demeure, la stratégie privilégiée par Israël devant une bande de Gaza aux mains du Hamas. Bien qu'il soit possible de concevoir qu'Israël ait une raison légitime de détruire les tunnels qu'utilisent les commandos palestiniens pour pénétrer en Israël, ceci ne saurait justifier les démarches de bombardement menées contre des écoles, centrales électriques, hôpitaux, mosquées, et autres zones civiles densément peuplées.

L'explication officielle consiste à faire valoir la dissimulation de missiles palestiniens au sein de ces zones civiles. Mais les dirigeants israéliens semblent également considérer qu'en anéantissant Gaza et sa population au moyen de missiles, il sera possible de détruire le moral des Palestiniens.

Cette démarche a autrefois été qualifiée de «bombardement stratégique», parfois encore de «bombardement de la terreur», à savoir une méthode de guerre destinée à saper la volonté d'une population en détruisant ses «centres vitaux».

Les exemples de bombardements stratégiques abondent, notamment lors de la guerre sino-japonaise dans les années 30, pendant la Seconde Guerre mondiale, et même lors de la guerre du Vietnam, où l'un des généraux américains avait menacé de bombarder l'ennemi jusqu'à le faire revenir à «l'âge de pierre».

Seulement voilà, la démarche de bombardement stratégique semble ne jamais avoir véritablement fonctionné. Loin de saper le moral des citoyens de Londres, Berlin, Tokyo ou Hanoï, cette tactique a généralement contribué à la renforcer. Confrontés à une menace mortelle et commune, les civils ont tendance à se rassembler autour des seuls dirigeants capables de les protéger, même lorsque ces dirigeants se révèlent largement déconsidérés. Que les Palestiniens soient gouvernés ou non par le Hamas, ils ne cesseront jamais de combattre Israël, notamment à Gaza, où leur destruction généralisée les conduit à ne plus rien avoir à perdre.

Pourquoi les gouvernements persistent-ils à recourir à cette stratégie à la fois cruelle et inefficace? La soif de sang pure et simple peut sans doute l'expliquer en partie. Mais le bombardement stratégique aurait aussi quelque chose à voir avec le moral de la nation assaillante.

Winston Churchill ne choisit-il pas en effet de déchaîner le feu de ses bombardiers sur les civils allemands alors même que la victoire des Alliés était depuis longtemps assurée? Il s'agissait pour lui de renforcer le moral britannique, au travers d'une démonstration de force, contre un ennemi qui pendant plusieurs années avait bombardé le Royaume-Uni.

Une autre explication peut être avancée, qui puise sa source dans les années 20, lorsque les Britanniques ont pour la première fois recouru à cette tactique en Mésopotamie, alors qu'ils s'efforçaient d'anéantir la motivation des rebelles iraquiens et kurdes. Pour reprendre la formule de Churchill, les démarches de bombardement permettaient de faire la police dans tout l'empire, et cela pour un moindre «coût de revient.» Ainsi était-il possible de stopper les rébellions en tuant suffisamment de personnes depuis le ciel.

Les victoires à la Pyrrhus n'en demeurent pas moins une constante de l'histoire, chaque meurtre de civil faisant naître de nouveaux rebelles, qui se manifesteront à nouveau quelques années plus tard. Si le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou n'a pas compris cela, c'est qu'il est idiot. S'il en est conscient, c'est alors qu'il fait preuve d'un cynisme dénué de tout espoir de paix durable. Difficile de définir la plus souhaitable des deux hypothèses.

© Project Syndicate, 2014