De nombreux lecteurs de La Presse ont fait des gorges chaudes du texte de Gabriel Nadeau-Dubois, «Lettre d'un étudiant aux policiers qui manifestent», publié le 20 juin. D'autres ont trouvé aberrant le parallèle que l'étudiant en sociologie y traçait entre la réaction des employés municipaux au projet de loi sur les retraites municipales du ministre Moreau et les «grèves» et manifestations des carrés rouges au printemps 2012.

En fait, les lecteurs qui se sont gaussés du rapprochement esquissé par l'ex-leader étudiant ou qui l'ont écarté d'un revers de main sont dans l'erreur en ce qui concerne le sens de ces «luttes», qui sont toutes deux de nature essentiellement corporatiste, raison pour laquelle M. Nadeau-Dubois s'est reconnu dans la manifestation des policiers du 16 juin dernier. Sur ce point, il a tout à fait raison: les réactions des employés municipaux et des étudiants aux politiques gouvernementales sont de la même essence. La rapidité avec laquelle l'étudiant de l'UQAM a avoué qu'à son avis, ces deux groupes pouvaient peut-être se «comprendre», constitue un aveu de ce fait incontestable.

En effet, nul ne songe à nier que la réaction des employés municipaux au projet de loi présenté par le ministre des Affaires municipales témoigne de l'insensibilité des membres de ce groupement aux grands enjeux sociaux que représente le déficit de leurs régimes de retraite. Que leurs syndicats se disent en guerre contre le gouvernement pour y résister témoigne d'un égoïsme incivique déplorable, mais compréhensible: ils ont été créés pour défendre leurs intérêts exclusifs.

Par contre, une partie non négligeable de la population québécoise (qui s'identifie largement à ce qu'on appelle la gauche) n'a pas encore compris que le mouvement des carrés rouges n'était pas une lutte pour la justice sociale, mais un combat pour défendre les privilèges tarifaires dont jouit la jeunesse étudiante québécoise.

Cet aveuglement romantique ne résiste toutefois pas à l'épreuve des faits. J'ai en effet démontré, dans mon Histoire du mouvement étudiant québécois, que derrière le voile progressiste porté par leurs leaders, les carrés rouges ne faisaient que perpétuer la nature foncièrement corporatiste du mouvement étudiant depuis ses origines. Sur les quelque 33 grèves que j'ai recensées de 1958 à 2013, quelques-unes seulement, et toutes de faible ampleur, ne portaient pas sur les droits de scolarité, les prêts et bourses ou des hausses de tarifs.

En somme, le mouvement étudiant québécois «... vise d'abord la défense des droits et des intérêts des catégories sociales surreprésentées à l'université». Comme les syndicats ouvriers, il est donc essentiellement corporatiste et presque exclusivement tourné vers la défense des droits acquis de ses membres. L'analogie faite par M. Nadeau-Dubois tient donc la route.

Pas d'injustice

Là où il se fourvoie, cependant, c'est quand il attribue la réaction des deux groupements à une quelconque injustice: en ce qui concerne les régimes municipaux de retraite, c'est le caractère grossièrement léonin de ceux-ci et leur caractère inéquitable qui sont socialement injustes; et en ce qui a trait aux droits de scolarité, le désir gouvernemental de les hausser visait précisément à rétablir un certain équilibre entre les contribuables et les bénéficiaires du système. De plus, aucune de ces deux mesures gouvernementales n'a de rapport avec des supposées «politiques d'austérité», qui n'existaient pas (sauf dans l'imaginaire gauchiste) pendant l'ère Charest, et qui ne sont pas à la source du déséquilibre des retraites.

La «solidarité intergénérationnelle» dont M. Nadeau-Dubois se réclame requiert justement une correction de ces régimes comme elle exigeait une hausse des droits de scolarité. La valse des corporatismes a malheureusement fait dérailler cette dernière comme elle cherche à enrayer la première.