L'implantation d'un système léger sur rail (SLR) sur le nouveau pont Champlain est présentée par plusieurs comme la concrétisation d'une vision d'avenir associée à une technologie de pointe. À ce titre, elle apparait comme un choix incontournable. Mais est-ce bien le cas?

La voie réservée aux autobus sur le pont Champlain a été inaugurée en 1978. Utilisée par sept autorités organisatrices du transport en commun, elle permet quelque 22 000 déplacements en heure de pointe au matin en direction de Montréal.

Balisée en alternance, la voie réservée est vulnérable face aux événements météorologiques extrêmes et aux accidents de la circulation. Elle est par ailleurs parcourue, en heure de pointe, par un autobus toutes les 25 secondes, ce qui correspond à un état de quasi-saturation. La construction d'un nouveau pont constitue donc une occasion à saisir pour pérenniser une traversée en site propre.

L'accroissement prévu de l'achalandage, l'atteinte de la capacité maximale de la formule autobus, la nécessité de réduire les gaz à effet de serre (GES), de même que la difficile cohabitation résidents-autobus au centre-ville sont les principaux motifs invoqués pour justifier l'implantation d'un SLR électrifié. Sans compter les vertus intrinsèques de ce choix modal, comme son confort et sa rapidité.

Ces justifications sont recevables: néanmoins, on serait en droit de s'attendre à ce qu'une étude coûts-bénéfices rigoureuse soit effectuée et rendue publique. Après tout, il s'agit d'un investissement de quelque 2 milliards qui serait réalisé dans un contexte de resserrement sévère des dépenses et investissements publics.

Des contraintes

et des risques supplémentaires


Or, certains avantages du SLR pourraient être compromis par la correspondance supplémentaire qu'il imposera à plusieurs de ses utilisateurs, dont l'autobus se rend actuellement au centre-ville, par la difficulté d'accès aux stationnements pour les usagers et par une fréquence potentiellement moindre hors de l'heure de pointe, notamment en raison de ses coûts d'exploitation. De plus, l'incertitude quant au tracé définitif du SLR sur l'île de Montréal rend l'estimation des coûts du projet encore plus risquée. L'optimisme de l'AMT doit donc, en premier lieu, être validé sérieusement.

Aussi, la construction d'un nouveau pont, la reconstruction de l'échangeur Turcot et la présence d'autres pôles d'achalandage - par exemple, ceux de l'aéroport Montréal-Trudeau, de l'Université de Montréal, du CHU Sainte-Justine et de l'Hôpital général juif - pourraient justifier une amélioration de la desserte par autobus directs de secteurs aujourd'hui incorrectement desservis, ce qui allègerait d'autant le terminus du centre-ville. Or, la présence d'un SLR sur la seule voie réservée au transport en commun du nouveau pont Champlain empêcherait toute nouvelle desserte d'autobus entre la Rive-Sud et l'île de Montréal.

L'approche par l'offre privilégiée par l'AMT pose ensuite le problème de son adéquation à la demande. Déjà, le rapport Nicolet (2002) avait fait valoir que les déplacements internes à la Rive-Sud étaient nombreux et en croissance continue. Or, il est de notoriété publique que ces déplacements sont extrêmement difficiles en transport collectif. En regard d'une amélioration globale de la prise en charge de la demande, ne vaudrait-il pas mieux privilégier cette dimension du dossier, d'autant que c'est justement là que les gains en matière de parts modales sont vraisemblablement les plus importants?

Finalement, du point de vue de l'économie générale du transport collectif dans la région métropolitaine de Montréal, on ne peut s'empêcher de poser la question de la pertinence d'un investissement de 2 milliards. Non seulement est-on en droit d'exiger une véritable analyse coûts-bénéfices pour le SLR, mais il faut aussi impérativement répondre à la question suivante: de quoi se privera-t-on en privilégiant un projet qui obligera à en sacrifier plusieurs autres?

Gérard Beaudet, urbaniste émérite et professeur titulaire, Institut d'urbanisme; Michel Gariépy, urbaniste émérite et professeur émérite, Institut d'urbanisme; Jacques Roy, professeur titulaire, HEC Montréal; Franck Scherrer, professeur titulaire et directeur, Institut d'urbanisme