En 1990, le premier ministre Mulroney m'a invité à devenir sénateur. Le Sénat représentait à mes yeux une institution qui me permettrait de participer de manière constructive à d'intéressants débats et aux travaux de comités sur des questions devant faire l'objet de recherche et de réflexion. Je considérais ma nouvelle fonction comme un honneur et une marque de confiance.

Ce que j'ai vu et vécu s'est avéré bien différent. La discipline rigide de parti qui régnait allait complètement à l'encontre de ma conception du rôle de sénateur. Nous devions voter, selon notre allégeance, soit en appui au gouvernement ou de l'opposition. Le mot d'ordre était d'éviter d'amender les projets de loi pour éviter qu'ils retournent à la Chambre des communes. Toute déviation était vue comme un sérieux manque de loyauté.

Quant aux travaux des comités, ils étaient généralement empreints de partisanerie et en conséquence largement dénués d'utilité. Nous nous limitions généralement à adopter sans modification les projets de loi en provenance des communes.

Deux ans après ma nomination, j'ai pris la difficile décision de renoncer aux avantages financiers et autres liés à ma fonction de sénateur et j'ai démissionné. Je n'ai jamais regretté d'avoir pris cette décision qui m'a permis de reprendre ma liberté d'expression et d'intervenir depuis en toute liberté sur plusieurs questions d'intérêt public.

En toute justice, je dois dire toutefois que plusieurs sénateurs ont défendu d'importantes causes grâce à leur statut de sénateur, comme l'a fait le général Roméo Dallaire contre l'utilisation des mines antipersonnel et des enfants soldats.

La nécessité de réformer le Sénat est tellement évidente que plusieurs réclament son abolition pure et simple. Le dernier jugement de la Cour suprême a invalidé le projet du premier ministre Harper et a montré, du même coup, l'impossibilité d'une réforme constitutionnelle. Malgré ce jugement, la réforme du Sénat demeure nécessaire et, il me semble, possible.

Pour permettre au Sénat de redevenir un lieu de réflexion et de poser un second regard objectif sur les projets de loi, il faudrait éliminer la discipline de parti. C'est cet aspect du Sénat qui va nettement à l'encontre de la mission des sénateurs en limitant leur liberté d'agir et de s'exprimer selon leurs convictions.

L'élimination de la ligne de parti pourrait être atteinte par l'exclusion des sénateurs des caucus des députés et en les rendant libres de voter selon leur choix. Le parti libéral a déjà posé un premier geste dans ce sens.

Un nouveau processus de nomination des sénateurs plus impartial pourrait aussi être adopté afin de mettre fin aux nominations pour services rendus. Les provinces pourraient à cet effet soumettre une liste de quelques noms parmi lesquels le premier ministre canadien serait tenu de choisir. Devant l'impossibilité de limiter la durée de leur mandat, les sénateurs pourraient en outre être invités à quitter leur fonction après huit ou neuf ans au moyen d'une réduction de leur rémunération et de la limitation de leur pension.

Enfin, à l'instar de la Chambre des Lords en Grande-Bretagne, le Sénat pourrait initier l'analyse de projets de loi avant qu'ils ne soient présentés à la Chambre des communes. Cette façon de procéder pourrait être utilisée pour des projets de loi ayant un contenu technique élevé ou qui ne suscitent pas d'opposition sur le plan des principes.

Étant donné que le Sénat est maître dans une large mesure de ses règlements, les changements qui précèdent pourraient être apportés, à mon humble avis, sans changement constitutionnel et sans l'approbation des provinces. L'adoption de ces changements nécessiterait évidemment l'assentiment des partis politiques présents à la Chambre des communes.

Devant l'impossibilité de réformer en profondeur le Sénat, une autre voie moins ambitieuse est possible, mais à la condition que la volonté politique nécessaire se manifeste.