Dans un texte en réplique à Pierre Karl Péladeau, le doyen de la Section de droit civil de l'Université d'Ottawa, Sébastien Grammond, banalise les conséquences du rapatriement de 1982 sans l'accord du Québec («Le bouc émissaire», 21 avril).

M. Grammond affirme d'abord que la Cour suprême a laissé une grande marge au Québec en matière de langue. Or, depuis 1982, elle a restreint le pouvoir du Québec en matière d'affichage commercial et a élargi à trois reprises l'accès à l'école anglaise au Québec. Faut-il rappeler qu'avant le rapatriement, les tribunaux avaient reconnu que le Québec était souverain dans ces matières?

À chacune des occasions où le plus haut tribunal a invalidé des dispositions de la loi 101, il avait le pouvoir de conclure autrement. Il aurait pu reconnaître qu'elles se justifient dans le cadre d'une société libre et démocratique. Alors que la Belgique et la Suisse voyaient leurs États fédérés adopter des lois beaucoup plus rigoureuses en matière de langue d'enseignement que la loi 101 dans sa version originale, il est difficile de croire que la Cour suprême ne pouvait adopter une plus grande déférence et en reconnaître la justification.

On peut se questionner par ailleurs sur les exemples soulevés par M. Grammond pour démontrer la sensibilité de la Cour suprême à l'égard de la cause des provinces. Dans ces cas, la Cour suprême pouvait-elle vraiment conclure autrement? En matière de réglementation des valeurs mobilières, le Québec intervient légalement depuis l'époque de la Confédération; les juges ne pouvaient tout simplement pas l'ignorer. Dans l'«affaire Nadon», ils ne pouvaient nier la tradition juridique distincte du Québec, enracinée depuis la Nouvelle-France et officialisée avec l'Acte de Québec de 1774.

M. Grammond doit reconnaître que le rapatriement a profondément transformé notre système. Par exemple, dans l'affaire Éric c. Lola, la spécificité québécoise faisait office de figurante devant le seul objet d'importance pour la Cour: l'analyse de l'économie de la Charte canadienne. Au final, l'intégrité du Code civil a été préservée par un jugement majoritaire de cinq juges contre quatre, mais toute cette saga aurait été évitée si ce n'était du rapatriement de 1982. Autrement dit, des dispositions de notre Code civil ont failli être invalidées en vertu d'une loi constitutionnelle qui n'a reçu l'aval ni de l'Assemblée nationale ni du peuple.

Échange d'informations

Pour ce qui est du renvoi sur le rapatriement de 1981, les magistrats ont déclaré qu'Ottawa pouvait passer outre au consentement unanime des provinces. Pendant que la Cour suprême était saisie du dossier, il appert, selon les archives britanniques révélées dans le livre de Frédéric Bastien, qu'au moins deux de ses juges échangeaient des informations avec les gouvernements canadien et britannique.

Le plus humble des juristes devrait ici relever que le principe fondamental de la séparation des pouvoirs a été violé au moment où le plus haut tribunal rendait la plus importante décision de son histoire. M. Grammond, qui ne cherche pas à démontrer que les conversations rapportées par M. Bastien n'ont pas eu lieu, manque de sérieux lorsqu'il les balaye sous le tapis. L'apparence de justice est aussi importante que la justice elle-même, faut-il le rappeler. Selon ce que révèle M. Bastien, la Cour suprême aurait échoué là où elle devait être sans reproche.

Prétendre apporter des nuances ne doit pas devenir un prétexte pour proposer l'amnésie. Le Québec paye toujours aujourd'hui les frais du rapatriement sans son accord; les conséquences sont concrètes. Pierre Karl Péladeau a raison de le souligner.