Nous parlons constamment de la question nationale au Québec, et généralement en commençant par dire qu'on ne veut pas en parler. Notre refus de trancher entre les risques connus du fédéralisme et ceux plus incertains de la souveraineté commence à nous coûter cher. Nous n'en sommes pas encore là, mais à force de passer ainsi des péquistes aux libéraux, comme de Charybde en Scylla, nous pourrions nous retrouver dans la même situation que la Grèce.

Contrairement à ce que prétendent tant de politiciens et d'électeurs, je ne crois pas que c'est en mettant de côté la question nationale que nous règlerons les autres problèmes. Peu importe le dossier qui se présente, que ce soit l'aide médicale à mourir, le nouveau pont Champlain, ou la Charte de la laïcité, il ne se passe jamais un mois sans que la question du statut du Québec apparaisse en filigrane; l'éléphant dans la pièce, en quelque sorte.

C'est sans doute ce qui explique que contrairement à presque tous les pays démocratiques, l'opposition gauche-droite soit remplacée ici par une lutte entre souverainistes et fédéralistes. À noter que l'élection du Parti québécois d'alors demeure à ce jour le seul exemple d'un tiers parti qui a réussi à prendre le pouvoir au Québec.

Pourtant, depuis près 20 ans, tous les sondages nous ont dit que les Québécois ne veulent plus entendre parler de constitution ou de référendum. Ces mêmes sondages indiquent que c'est l'économie, la santé et l'éducation qui sont désormais en tête des préoccupations, et à juste titre, si l'on considère à quel point la classe moyenne perd progressivement de son pouvoir d'achat, en même temps que les services et les infrastructures se détériorent et que la dette se trouve hors de contrôle. Le Québec vieillit, s'enlise et il semble que le pire reste à venir.

Mais lorsqu'un tiers parti comme la CAQ ou la défunte ADQ se présente avec une plate-forme principalement économique, en proposant des réformes majeures (avec lesquelles on peut être ou ne pas être d'accord) et sans aucun agenda sur la question nationale, il ne parvient pas à éveiller suffisamment d'intérêt pour espérer s'emparer du pouvoir.

Cela est certainement dû en partie au fait que tant les libéraux que les péquistes, qui lisent aussi les sondages, tentent de parler le moins possible de constitution, pour les premiers, et de référendum, pour les seconds, contribuant ainsi à garder la joute politique dans une alternance confortable. Une grande portion de l'électorat vote donc pour les uns ou les autres, selon le niveau de fatigue devant les mêmes visages qui sont là depuis plus ou moins longtemps, choisissant entre deux partis centristes, garants du statu quo. Pendant ce temps, on reporte aux calendes grecques (pour rester dans les métaphores helléniques) les réformes profondes qui sont nécessaires pour mettre fin à l'appauvrissement du Québec.

Comment sortir de ce cercle vicieux? Existe-t-il une troisième voie? Peut-être faut-il compter sur un accident de l'histoire. Imaginons nos deux partis traditionnels placés nez à nez le soir du scrutin et forcés de rebrasser les cartes en formant des alliances avec de nouveaux joueurs qui veulent vraiment faire changer les choses. Par exemple, un Parti québécois qui serait forcé de gouverner avec Québec solidaire pourrait devoir remettre à l'avant-plan la question nationale. L'alliance improbable d'un Amir Khadir et d'un PKP pourrait provoquer l'électrochoc dont nous avons collectivement besoin.

Mais à défaut d'un tel scénario, je reste persuadé qu'il n'y aura pas de place significative dans l'échiquier politique pour d'autres partis ou d'autres idées, tant que la question du statut du Québec ne sera pas remise au goût du jour et réglée une fois pour toutes.