Cher gouvernement,

Je ne sais pas si la pratique est répandue partout au Québec, mais dans mon coin de pays (Argenteuil), elle est en passe de devenir un mode de vie. Je parle du pouvoir qu'ont les maires d'expulser du caucus les conseillers qui manifestent leur opposition un peu trop vivement.

Avant le 3 novembre dernier, chacun des maires de trois municipalités de la MRC d'Argenteuil (Lachute, Saint-André et Brownsburg-Chatham) avait, sous divers prétextes, expulsé un conseiller du «plénier», cette réunion où se discutent à huis clos les projets de résolutions. On alléguait les indiscrétions de l'un qui n'avait pas respecté la confidentialité du caucus et les interventions impertinentes d'un autre qui retardaient les travaux. On est même allé jusqu'à mettre en doute les capacités intellectuelles d'un troisième. Notons que dans les trois cas, il s'agissait d'individus qui s'opposaient avec vigueur aux décisions du maire.

Avec les dernières élections, on pouvait s'attendre à des changements. Pensez-vous? Voilà que trois mois après avoir été élus, les maires de Brownsburg-Chatham et de Saint-André poursuivent la tradition en suspendant chacun un conseiller. Manifestement, on a éliminé les dissidents.

Peut-on concevoir qu'un premier ministre expulse de l'Assemblée nationale le chef de l'opposition sous prétexte que ses questions sont embêtantes? Peut-on imaginer un juge en chef de la Cour suprême priver de son droit de parole un de ses collègues dissidents? Poser la question, c'est y répondre.

Gouvernance musclée

Les contribuables n'avaient pas besoin de la commission Charbonneau pour constater qu'en politique municipale, la tentation de la gouvernance musclée est forte. En conséquence, le copinage, la collusion, les passe-droits, les entourloupes et autres prévarications y prospèrent comme mauvaises herbes dans un terrain vague. Ajoutez à cela que les petites municipalités pratiquent volontiers une culture du secret, et vous constaterez à quel point il est impératif de permettre aux forces d'oppositions d'exister. Et de s'exprimer.

La pratique de l'exclusion est d'autant plus répréhensible que dans les municipalités divisées en districts comme c'est maintenant le cas à Brownsburg-Chatham, les conseillers représentent des groupes de citoyens possédant des besoins spécifiques à leur secteur: suspendre leur conseiller du caucus équivaut à bâillonner les contribuables d'un territoire tout entier. Cela constitue ni plus ni moins un déni de démocratie.

En ces temps où chaque jour amène de nouvelles entorses à la gouvernance des institutions publiques, il serait peut-être grand temps de songer à mettre un terme à certaines habitudes. Puisque les villes sont tes créatures, cher gouvernement, peut-être pourrais-tu commencer par retirer aux maires le pouvoir discrétionnaire de museler ceux qui ne sont pas de leur avis?