Il y a quelques années, j'ai eu la chance de faire partie d'un groupe de médecins du Québec qui a pu observer le système de santé français de l'intérieur. Le vide apparent de la salle d'attente d'une urgence en banlieue de Paris a immédiatement frappé de plein fouet mon imaginaire. J'ai alors pesté impulsivement contre les gestionnaires québécois: le système français semblait visiblement meilleur que le nôtre, car on n'y attendait pas.

En examinant l'hôpital d'un peu plus près, toutefois, on pouvait constater que les malades étaient admis sur les étages beaucoup plus rapidement que chez nous, avant plusieurs tests faits ici par l'urgentologue. Aussi, les étages craquaient sous le nombre de lits, avec un seul médecin interniste qui avait les traits tellement tirés de fatigue que je craignais qu'il tombe, entraîné par le poids des cernes sous ses yeux.

Au Québec, on a décidé il y a plusieurs années de fermer des lits d'hôpitaux, faisant refouler les malades dans les corridors des urgences. Pour ajouter à l'attente, beaucoup des lits demeurés ouverts sont aujourd'hui occupés par des personnes qui patientent pour obtenir une place en CHSLD.

Attendre est malheureusement devenu une norme. Les patients patientent, les médecins patientent également, comme ces chirurgiens prêts à opérer, mais qui manquent de temps opératoire alloué. Comme aussi ces docteurs qui patientent avec leurs patients pour connaître les résultats d'examens peu accessibles qu'ils leur ont prescrits des mois plus tôt.

Il est tellement normal d'attendre qu'un journal local du Plateau-Mont-Royal a récemment déploré que la salle d'attente de la clinique de médecine familiale Notre-Dame était vide. Pourtant, grâce à un système de gestion avancée des rendez-vous implanté par la médecin-chef de cette même clinique, on y voit son docteur beaucoup plus rapidement qu'avant. D'où la salle d'attente vide.

De tels systèmes innovateurs se mettent progressivement en branle un peu partout dans des cliniques du Québec, à l'initiative de médecins de première ligne qui ont voulu répondre aux besoins de leurs patients sans l'intervention du gouvernement.

L'arrivée des rares infirmières praticiennes spécialisées de première ligne, comme à la clinique de médecine familiale Notre-Dame, favorise également une meilleure accessibilité. C'est le cas aussi des ordonnances médicales qui confient aux infirmières cliniciennes les activités préventives de dépistage et le suivi conjoint des maux chroniques, permettant aux médecins de s'occuper des personnes qui sont les plus malades.

Il sera bientôt de moins en moins rare de voir des salles d'attente moins remplies et de consulter son propre médecin lorsqu'on est malade. Les choses se transforment à petits pas, grâce entre autres aux chefs médicaux d'expérience de ces cliniques, qui se préoccupent constamment d'accessibilité.

On ne saurait faire porter le blâme de la complexité du système de santé à un seul groupe de professionnels, ni même aux seuls gestionnaires. Quant au fameux et très simpliste ratio du nombre d'habitants par médecins au Québec, il néglige de tenir compte que les médecins de famille de notre province sont incomparables aux généralistes d'autres pays: un très grand nombre d'omnipraticiens exercent ici dans les hôpitaux en soins de deuxième ligne.

Nos médecins de famille font aussi beaucoup d'actes qui sont réservés en France aux spécialistes. Dépeupler nos hôpitaux et cliniques spécialisées des omnipraticiens et réduire leur expertise, pour imiter les statistiques des autres pays, causerait un problème d'envergure facile à concevoir.

Mais qui osera donc gérer les médecins, pour beaucoup démotivés, devenus cyniques, désengagés et fatigués d'être ciblés comme le sable dans l'engrenage du système de santé? Je crois que le Québec a besoin que certains de ses médecins osent se former aussi en gestion. Marier l'expérience de la réalité du terrain et l'expertise médicale à une solide formation en gestion pourrait être une audace avantageuse pour l'appareil de santé.