Le 28 janvier dernier, M. Lucien Bouchard a critiqué dans ces pages la position du sociologue M. Guy Rocher, qui a présenté récemment un mémoire à la commission parlementaire sur le projet de loi 60. Ce dernier estimait «qu'on ne devrait pas exclure de leur poste les personnes portant déjà des signes ostentatoires de convictions religieuses» avant l'adoption de la charte de la laïcité

Selon l'ex-premier ministre, une clause «grand-père» ne serait qu'une forme d'échappatoire menant au chaos social, un tel régime de droits acquis ne pouvant selon lui passer le test de la réalité.

Il va sans dire que la CSN ne souscrit pas à un tel point de vue. Ce n'est pas renoncer à ses principes que d'agir avec pondération et mesure. Et il n'y a pas d'incohérence, croyons-nous, à appliquer un nouveau principe de façon progressive en portant le moins possible atteinte aux droits des individus qui ont mis coeur, énergie, temps et argent pour apprendre un métier, une profession, qui ont entrepris une carrière à donner des services à la population et qui perdraient, sans une clause de droits acquis, tout du jour au lendemain sans une clause de droits acquis.

À ce titre, en décembre, la CSN a réitéré son adhésion au principe d'une charte de la laïcité. Quant au port de signes religieux, elle estime que le projet de loi 60 va beaucoup trop loin et que l'interdiction devrait se limiter aux postes en autorité (pouvoir de coercition) et aux personnes travaillant dans les réseaux de l'éducation primaire et secondaire et des services de garde. Non pas parce qu'elles remettraient en question la neutralité de l'État, mais parce qu'elles représentent des modèles pour les jeunes.

La CSN rend toutefois cet appui, limité, conditionnel à la reconnaissance de droits acquis pour le personnel déjà à l'emploi au moment de l'adoption de la loi. C'est ici que nous rejoignons M. Rocher: un régime de droits acquis ou une clause «grand-père» s'impose selon nous pour tempérer l'atteinte au droit au travail qui découlerait de la Charte de la laïcité, et ce, pour tous les emplois que viserait la loi une fois adoptée.

Il serait injuste, en effet, que des travailleuses et des travailleurs soient congédiés en raison de changements apportés, après leur embauche, aux exigences de leur emploi.

Et pour ceux qui y verraient de l'incohérence, libre à eux. Nous sommes prêts à sacrifier un peu d'incohérence à beaucoup de justice.