L'État ne devrait pas être «neutre» au sens entendu par Bernard Drainville, lui qui, à tort, s'inspire de Thomas Jefferson pour défendre son projet de loi.

Aux États-Unis, la Constitution prévoit que le Congrès ne peut légiférer pour établir une religion ou empêcher l'exercice d'une religion. Ces clauses y consacrent la séparation entre l'Église et l'État et la neutralité de l'État à l'égard de toute confession religieuse.

En 1997, le président démocrate Bill Clinton émit des directives de 11 pages, toutes en nuance et remplies d'exemples pratiques, visant à aider les patrons à concilier au jour le jour les droits et libertés individuels d'exercice et d'expression religieuse des fonctionnaires dans leurs lieux de travail et les droits de gestion de l'État comme employeur.

Ce guide cible une foule de situations, notamment l'expression religieuse dans les lieux de travail auxquels le public a accès. Les fonctionnaires ne peuvent pas y exprimer leur foi de façon à laisser croire que l'État cautionne, approuve, interdit ou défavorise l'une ou l'autre des religions.

Mais ils ont le droit d'afficher sur leurs vêtements un message religieux dans la même mesure qu'ils peuvent afficher un message non religieux, toujours si on ne laisse pas croire au public que le gouvernement approuve le message. Ils ont aussi le droit de porter des pièces ostentatoires de joaillerie religieuse à moins de circonstances particulières (par exemple des questions de sécurité) qui prohiberaient toute pièce de joaillerie non religieuse.

On voit tout de suite la différence entre l'approche démocrate et l'approche péquiste. Sur la «neutralité», les Américains font la distinction entre celle de l'État et celle des individus qui travaillent pour l'État.

Au Québec, le projet de loi 60 ne garantit pas la neutralité de l'État. Il prévoit plutôt que ce sont les fonctionnaires qui doivent être neutres. Sur le port de signes religieux, l'une est nuancée et respectueuse du droit de gérance de l'employeur et des libertés d'exercice et d'expression religieuse alors que l'autre, c'est l'approche du diktat péremptoire niant aux gestionnaires des différents ministères, hôpitaux, écoles et garderies toute possibilité d'agir avec discernement et jugement pour adapter les grands principes aux situations particulières à chaque milieu de travail.

C'est cette «neutralité» mal placée sur le dos des fonctionnaires qui soulève le débat surréaliste du port de signes religieux ostentatoires. Il aurait été beaucoup plus efficace et rapide pour le président du Conseil du trésor, chargé des politiques de ressources humaines de l'État, de publier un simple guide administratif, comme celui du président Clinton, adapté à la réalité québécoise, combiné avec un code vestimentaire pour assurer, par exemple, le visage découvert.

Le gouvernement Marois a préféré en faire un psychodrame national. C'est clairement plus payant de réchauffer la clientèle électorale, de s'approprier le débat identitaire, d'embarrasser l'opposition et de ne pas avoir à parler des vraies priorités du Québec, comme les attentes aux urgences, les pertes d'emploi ou la détérioration de nos infrastructures. Et pendant ce temps, on occulte les vrais problèmes et le Québec continue de s'endetter et de s'enliser.