Il y a 50 ans cette semaine, le médecin-chef des États-Unis, Luther Terry, livrait à une salle comble au Département d'État une revue de la littérature scientifique sur le tabagisme et son impact sur la santé.

En dépit de l'accumulation des connaissances et de la sensibilisation, et en dépit de tous ces fumeurs qui ont arrêté et ces jeunes qui n'ont jamais commencé à inhaler, nous sommes toujours aux prises à une épidémie due à la consommation de cette cigarette parfaitement légale, parfaitement létale.

Tandis que les cigarettes sont maintenant interdites dans la plupart des lieux publics et leur publicité bannie à la télévision, les grands du tabac continuent de prospérer. Leurs départements de marketing conçoivent des emballages innovants et offrent maintenant des cigarettes à saveur de bonbons ou bien électroniques pour attirer une nouvelle génération.

Les taux de tabagisme ont diminué sensiblement, mais en raison de la croissance démographique, le nombre réel de fumeurs et de décès annuels stagnent. Quelques 37 000 de nos proches sont tués chaque année, dont plus de 10 000 au Québec, par la consommation de tabac.

La question, en 1964 et encore maintenant, est de savoir ce qui constitue «des mesures correctives appropriées» devant une épidémie qui tue plus que le VIH/SIDA, les accidents de la route, le meurtre, le suicide et toutes les drogues illicites réunis. Les chiffres sont ahurissants, mais ils sont vérifiables: 100 millions de décès prématurés au XXe siècle, un nombre qui devrait atteindre le milliard en ce siècle, dont une part grandissante proviendra des pays d'Afrique et d'Asie en voie de développement.

Sentiment d'urgence absent

On exige de l'État qu'il nous protège en temps de crise, comme c'est le cas en veillant à la sécurité ferroviaire dans le sillage de l'horreur de Lac-Mégantic, mais où se trouve le sentiment d'urgence dans le cas du tabagisme?

Le Canada a, une fois, établi un précédent mondial important avec les premières mises en garde sanitaires graphiques, mais refuse désormais de suivre l'exemple de l'Australie en imposant l'emballage neutre ou générique des paquets de cigarettes. Où sont les annonces percutantes à la télévision? Pourquoi coupe-t-on le financement des programmes quand le besoin est si grand?

Il peut sembler que ce soit une histoire si banale, si vieille - fumer tue -, et après? Mais les chiffres parlent d'une tragédie qui devrait faire la une, jour après jour. La banalité de la mort.

Les fumeurs font partie de nos familles, de nos amis, de nos communautés. Ils ne sont ni citoyens de seconde classe ni des esclaves du tabac, mais ils sont des victimes souffrant d'une toxicomanie contractée quand ils étaient enfants ou adolescents. Ils portent une certaine responsabilité pour leurs propres actions, mais le vrai carnassier profitant de cette tragédie reste sans équivoque l'industrie du tabac.

Quand on est propriétaire d'un commerce et qu'on apprend qu'un produit qu'on vend est dangereux, sinon mortel, le garde-t-on sur les étagères, haussant les épaules sous le prétexte que «le client a toujours raison» ? C'est ce que font ces cigarettiers sans scrupules.

La réglementation gouvernementale peut sauver des vies. Pourquoi ne pas limiter le nombre de points de vente? Pourquoi ne pas sortir les cigarettes des supermarchés? Pourquoi ne pas limiter la vente les produits du tabac aux centres dont la mission est d'aider la cessation?

Il ya trop de fumeurs dépendants afin qu'on puisse lancer un appel à la prohibition pure et simple, mais nous avons besoin de leadership et d'un engagement urgent et soutenu pour mettre fin à la dévastation causée par l'âpreté au gain de l'industrie du tabac.

Faudrait-il attendre encore 50 ans afin de mettre fin à ce fléau?