Dans le document de réflexion qu'elle vient d'adopter sur le projet de charte de la laïcité, la CSN soulève un point rarement abordé, mais très pertinent.

La centrale désapprouve l'idée de distinguer les signes religieux ostentatoires des signes discrets, parce que cela désavantage les religions dont les signes extérieurs sont par définition ostentatoires.

En effet, cette règle avantage essentiellement les chrétiens, qui peuvent se rabattre sur un pendentif orné d'une petite croix. Mais pour le juif orthodoxe, il n'y a pas de mini-kippa. Idem pour le voile islamique ou pour le turban sikh.

On dira que les juifs et les musulmans pourraient se contenter d'arborer un petit bijou en forme d'étoile de David ou de croissant, mais c'est une vue de l'esprit, car ces ornements ne font pas partie de la pratique religieuse de ces minorités.

Les Québécois de vieille souche sont souvent portés à analyser les autres religions à partir de leur expérience du catholicisme; c'est une erreur.

La pratique religieuse des chrétiens ne passe pas par le port d'un signe vestimentaire. Aucun laïc chrétien, aussi pieux soit-il, ne se sent obligé de porter une croix ou un scapulaire. Même l'ancienne coutume qui forçait les femmes à se couvrir la tête à l'église était une convention, pas un article de foi.

Il en va tout autrement dans d'autres religions. Les juifs orthodoxes sont moralement forcés de porter un couvre-chef en guise de respect envers Yahvé. De la même façon, certaines musulmanes se sentent tenues de se couvrir les cheveux pour se conformer à la pratique religieuse à laquelle elles ont adhéré.

Il s'agit d'une obligation réellement ressentie, prise très au sérieux, qui fait partie intégrante de l'identité religieuse de ces personnes. C'est d'ailleurs pourquoi, lorsque vous leur demandez ce qu'elles choisiront si la charte devient loi, elles répondent toutes, sans exception, qu'elles préféreront perdre leur emploi plutôt que d'enlever leur signe identitaire religieux.

Bien des gens règleront impulsivement la question en proclamant que le Coran n'impose pas explicitement le voile, ou que seuls les fondamentalistes sikhs tiennent au turban, ou que nombre de juifs croyants ne portent pas la kippa tous les jours, et ainsi de suite.

Tout cela est exact, mais sans rapport avec le fond de la question. Ces pratiques vestimentaires, loin d'être marginales, sont assez répandues parmi les croyants non-chrétiens, et la liberté de religion - une valeur fondamentale -\ implique que l'on doit respecter la conception qu'ont les autres de leur propre religion. À condition, bien sûr, que ces pratiques ne portent pas atteinte à l'ordre public, à leur propre intégrité physique ou à celle d'autrui.

Malheureusement, nombre de Québécois, soit par insensibilité à autrui, soit par ressentiment envers l'Église, semblent devenus incapables d'appréhender le fait religieux et de comprendre - ou de respecter, à défaut de comprendre - des phénomènes comme la foi. Ils rejettent ces sentiments chez les autres comme ils ont rejeté pour eux-mêmes le catholicisme.

Pourtant, ce n'est pas parce que l'on n'a pas soi-même de religion qu'on doit refuser aux autres le droit d'en avoir une! Le monde est divers, le Québec aussi.

La CSN signale en outre, à bon droit, que la distinction entre signe ostentatoire et signe discret mène à ces pictogrammes enfantins qui ont fait la risée des observateurs, et à une règlementation aussi ridicule qu'inapplicable, qui passe par la règle à mesurer... et qui accorde, effectivement, «un traitement préférentiel» aux religions chrétiennes.

Mais qu'attendre d'autre d'une charte qui, au départ, brimait les religions minoritaires tout en laissant, ô paradoxe discriminatoire, le crucifix trôner dans l'enceinte législative?