Depuis 2009, Hydro-Québec s'affaire à construire un méga-complexe consistant en quatre barrages hydroélectriques sur la rivière Romaine, sur la Côte-Nord. Vanté comme le plus grand chantier industriel du Québec, ce projet de 8,5 milliards$ représente toutefois un investissement géant aux retombées incertaines.

Conçu pour devenir le moteur énergétique du Plan Nord, le projet de la Romaine était destiné à fournir de l'électricité bon marché aux sociétés minières et aux raffineries afin de les inciter à étendre leurs opérations dans la province. Selon le spécialiste en énergie Jean-Thomas Bernard, l'électricité du complexe de la Romaine coûtera en moyenne 8,6 cents le kilowattheure (kWh) à la société d'État à produire et à acheminer. Dans le cas spécifique des alumineries, Hydro-Québec vend pourtant son énergie au prix lourdement subventionné de 3 cents le kWh.

Or, c'est devant la perspective de voir ce tarif augmenter en vertu de contrats signés en 2008 que les dirigeants d'Alcoa, et, plus récemment, le PDG d'Alouette, sont intervenus publiquement pour exhorter le gouvernement Marois à maintenir le statu quo. Sans quoi, insinuait-on, les quatre usines des deux entreprises pourraient être amenées à fermer leurs portes.

Cette situation nous oblige à nous questionner sur deux plans. D'abord, est-ce à l'abonné résidentiel, qui verra son taux de facturation d'Hydro-Québec majoré de 5,8% dès 2014, de payer le manque à gagner qui permettrait au gouvernement de maintenir une subvention forte aux alumineries? Ensuite, l'industrie de l'aluminium est-elle assez viable pour justifier la multiplication de projets hydroélectriques et le soutien de l'État québécois à long terme?

Pour baliser la deuxième question, rappelons quelques faits. En novembre 2011, lors d'une visite à Sept-Îles le premier ministre Jean Charest garantissait à l'aluminerie Alouette un bloc de 500 mégawatts (MW) - soit le tiers de l'éventuelle capacité du complexe de la Romaine - pour alimenter une expansion qui devait permettre à la compagnie de générer 300 nouveaux emplois. Toutefois, deux ans plus tard, la fameuse «phase 3» se fait attendre.

La cause? Le cours de l'aluminium sur le marché mondial a baissé de 40% depuis 2008 en raison de la surproduction, et ne se redressera vraisemblablement pas de sitôt. Dans cette optique, il est envisageable que, même en faisant les concessions demandées, Québec ne parvienne pas à convaincre les sociétés Alcoa et Alouette de rester dans la province à long terme.

Or, dans un contexte de surplus énergétiques, et au moment où les exportations d'électricité aux États-Unis ne sont plus rentables, il semble que si les alumineries n'entament pas leur projet d'expansion, la capacité énergétique du dispendieux projet de la Romaine restera encaissée dans les réservoirs.

Cette réflexion s'avère d'autant plus pertinente que dans son plus récent Plan stratégique (2009-2013), Hydro-Québec propose de réaliser de nouveaux projets hydroélectriques sur deux importantes rivières de la Côte-Nord, soit la Magpie (pour un complexe de 850 MW) et le Petit-Mécatina (pour 1200 MW). Ces projets finiront-ils en éléphants blancs si le marché de l'aluminium ne se relève pas?

Pour le citoyen, les cours d'eau sont beaucoup plus qu'une source de mégawatts. Nos rivières québécoises sont profondément ancrées dans notre histoire, maintiennent la viabilité des écosystèmes et d'une pêcherie commerciale, et font partie de notre identité. Préserver certaines d'entre elles relève d'un devoir envers les générations futures, alors qu'elles ont été dénaturées en grand nombre par des projets hydroélectriques précédents. Sacrifier ce patrimoine naturel pour une industrie vulnérable et en déclin n'est pas une solution digne. Annulons plutôt les phases non entamées du projet de la Romaine, protégeons le Petit-Mécatina et la Magpie, et redirigeons l'argent  épargné vers un fonds de diversification économique soutenant les régions à risque. Notre économie et nos rivières s'en porteront mieux.