Madame la première ministre,Je suis un indépendantiste de la première heure, ancien candidat du PQ et fervent défenseur de votre candidature à la direction du Parti Québécois. Je ne suis pas croyant, je n'aime pas les gens qui mettent leur religion dans des accessoires futiles comme une kippa, un voile, un kirpan, un col romain ou une soutane de cardinal. Mais je crois que le parti fait une grosse erreur actuellement. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi.

Oui, nous avions besoin d'une loi pour baliser les recommandations trop mollasses de la commission Bouchard-Taylor. Oui, il fallait réaffirmer la neutralité de l'État, baliser les inacceptables accommodements raisonnables et interdire aux personnes en autorité le port de symboles religieux trop ostentatoires. Vos prédécesseurs, messieurs Parizeau et Landry, vous ont indiqué la voie à ce sujet. 

Mais votre projet de loi excessif va rendre impossibles de telles mesures. Ça ne passera pas, c'est bien trop gros, vous allez à contre-courant de tout ce qui se fait ailleurs en Occident. Et nous allons nous retrouver dans un an avec rien du tout et un parti amoché et ratatiné, un parti qui ne recrutera que les nationalistes de droite, malgré vos velléités d'ouverture d'esprit et de social-démocratie. Exit la cohésion nécessaire pour la souveraineté.

Bien sûr, le débat actuel permet de nous défouler un peu. On a connu ces niaiseries de curés et de bonnes soeurs avant 1970 et on s'en est sortis, tant mieux pour nous. J'espère que les musulmans, les sikhs, les juifs et les témoins de Jehovah vont s'en sortir eux aussi et accéder à une pensée et des pratiques moins archaïques. 

Je crois cependant que la religion permet à plusieurs l'accès à une vie spirituelle déterminante dans leur vie quotidienne. Je crois aussi que la vie spirituelle est possible sans l'adhésion à une Église qui impose toutes sortes de rituels légués par une tradition irrationnelle, sinon douteuse. Vous voyez, je suis pas mal croyant dans mon incroyance.

Même si ça m'agace, même si ça m'irrite parfois et me déçoit toujours, je suis prêt à vivre avec des femmes voilées (modérément, quand même!) des juifs à kippa ou des jésuites portant la croix. Je ne me gênerai pas pour leur dire que je trouve cela un peu bébête, puisque la religion est affaire de croyance et non de chiffons, de moutons égorgés en regardant la Mecque ou de biscuits cascher bénis par un rabbin payé pour ses révérences. Ma vie spirituelle ne s'affiche pas dans de telles extravagances, je la pratique en privé, sans chercher le spectacle.

Madame Marois, je vous en prie (je n'ai pas rejeté toute prière, après tout), ouvrez les yeux. Retirez de votre projet tout ce qui va le faire avorter, c'est-à-dire l'interdiction des signes religieux ailleurs que chez les personnes en autorité...et peut-être aussi chez les enseignants.

Car l'unique débat doit porter, désormais, sur le droit d'exhiber ou non sa religion à l'école lorsqu'on est enseignant, au primaire comme au secondaire, au public et au privé, en français, en anglais ou en hébreu. Pourquoi pas un mini-référendum (le mot doit vous rappeler des souvenirs, à vous aussi) sur cette seule question des enseignants? 

Essayez de convaincre les Québécois sur ce point et je vous promets de voter oui, comme les autres fois. Mais actuellement, vous êtes en train de me perdre, moi et beaucoup d'autres, je crois (décidément, je suis plus croyant que je le croyais). 

Beaucoup d'autres qui refusent que le Parti Québécois se saborde et avec lui le projet qui l'a fait naître.