Depuis plusieurs semaines, je réfléchis à l'avenir du livre, plus particulièrement à la politique du prix unique, ce prix «commun» sur toute nouveauté pendant les neuf mois suivant sa parution. Je comprends l'idée derrière cette politique: aider les librairies à se battre à armes égales contre les géants américains, Costco et Walmart, pour ne pas les nommer.

Même si je suis tout à fait en accord avec une telle mesure, je pense qu'elle cache un problème beaucoup plus profond: celui du goût de la lecture. Ce grand bonheur qui ne peut être réduit qu'à une simple question d'argent. Par contre, je ne suis pas naïf. Si jamais les librairies continuent de fermer leurs portes à ce rythme inquiétant et que les grands détaillants gagnent la bataille au nom des lois du marché, la diversité sera menacée.

À ce titre, Michel Tremblay a refusé de se plier au roi Costco. Ce dernier voulait que l'éditeur de Tremblay (Leméac) renonce à son «délai de carence», une petite bouffée d'air qui accorde aux librairies une exclusivité de quelques semaines. Comme un grand seigneur choqué qu'on ne rampe pas devant lui, Costco a annulé une commande de 6000 exemplaires de son dernier roman, Les clefs du Paradise.

Ici, Tremblay sort de ce bras de fer la tête haute, mais pourra-t-il le faire encore longtemps? Et quels autres auteurs, connus ou inconnus, pourront défier ces entreprises pour qui le livre n'est qu'un tas de papier au même titre qu'une boîte de papiers-mouchoirs? Malgré tout ça, le prix du livre est le nerf de la guerre, j'en conviens.

Toutefois, j'ai la triste conviction qu'on pourrait offrir gratuitement les livres que cela ne changerait en rien le nombre de lecteurs. J'enseigne le français au secondaire depuis plus de 15 ans, je suis également auteur et je remarque que l'attrait du livre se perd, que le goût de passer des heures à tourner des pages qui nous font rêver s'évapore, au profit d'une menace bien plus grande que les grandes surfaces.

Je parle ici des téléphones intelligents, des réseaux sociaux, ces «bouffeurs de temps» qui nous empêchent d'être seuls avec nous-mêmes... ou accompagnés d'un bouquin. Je ne veux pas partir à la chasse aux sorcières contre la technologie, car elle est essentielle, souhaitée même.

Sauf que c'est David contre Goliath.

Au Québec, 49% des personnes, âgées de 16 à 65 ans, éprouvent des difficultés de lecture. Avec ce triste constat, on ne peut pas s'étonner que les gens préfèrent passer leur temps libre à naviguer sur l'Internet, au lieu de lire un livre, quel que soit son prix. Avant, on disait que nous n'étions jamais seuls avec un livre. Aujourd'hui, c'est en compagnie du cellulaire que nous passons nos moments de solitude.

La prochaine fois où vous serez seul dans un lieu public, prenez le temps d'observer autour de vous. Qui lit un livre? Qui consulte son compte Facebook? Pour moi, la vraie menace se trouve là. Le véritable combat qu'il faut mener se trouve dans l'amour de la lecture. On doit transmettre ce goût à nos enfants, à nos élèves, à nos amis.

Oui, il faut protéger ce produit culturel qu'est le livre, car il ne possède pas, à mes yeux, le même statut qu'une simple boite de conserve, même si je comprends très bien qu'il fasse partie d'une industrie, une industrie qui se fragilise et à laquelle nous devons tendre la main pour ne pas qu'elle trébuche.