Tant le procès de Guy Turcotte, avec son verdict de non-responsabilité criminelle, que la récente décision de la Cour d'appel qui a rejeté ce verdict, exigeant ainsi un nouveau procès, soulèvent des difficultés et des malaises relatifs à l'utilisation d'experts-psychiatres ou psychologues dans de telles causes.

Il n'est pas de mon ressort d'examiner les aspects légaux de la notion de non-responsabilité pour cause d'aliénation mentale ni de discuter de la façon dont les avocats, juge et jurés ont utilisé cette notion légale. Par contre, sur le plan des notions psychologiques en cause je voudrais soumettre deux aspects problématiques que ce procès met en lumière: le type de diagnostic utilisé par les experts et le lien entre un diagnostic de trouble mental et un agir meurtrier.

Il n'existe pas un seul modèle diagnostique en psychologie et en psychiatrie. Il faut comprendre que la théorie de la personnalité utilisée par le praticien va orienter sa façon de concevoir la santé mentale ou la psychopathologie. 

Ainsi, certaines théories de la personnalité supposent qu'il existe une fracture nette entre le psychisme de l'individu normal et celui de l'individu pathologique, comme si la nature même de l'un et de l'autre différait.

D'autres systèmes psychodiagnostiques se fondent sur des aspects structuraux, plus stables, pour émettre un diagnostic. Souvent, ces systèmes sont moins dichotomiques que le précédent et montrent par exemple qu'il y a moins de différence qu'on aime le croire entre le normal et le pathologique. Chacun des systèmes possède ses forces et ses faiblesses.

Le deuxième point que le procès Turcotte met en lumière est le lien logique erroné qui est souvent fait entre la présence d'un diagnostic et la commission d'un acte criminel. En général, les experts reconnaissent que des personnes diagnostiquées «psychopathes» (ou les divers diagnostiques analogues) sont des gens qui commettront des actes antisociaux, selon leur bon vouloir, sans que les lois ou que les principes moraux habituels ne les freinent. 

Hors ces catégories diagnostiques, il est très difficile de prétendre qu'une psychopathologie mènera nécessairement à un geste. Oui, certaines personnes souffrant de dépression feront une tentative de suicide, mais de nombreux déprimés ne le feront pas. D'autres individus vont commettre un geste violent sans que personne dans l'entourage n'ait perçu de signes laissant croire à un trouble psychologique.

Dans le cas du procès Turcotte, la logique causale «trouble mental - geste homicidaire» a bien entendu été teintée de la notion de l'intoxication qui aurait potentialisé ou augmenté l'incapacité de celui-ci d'évaluer la réalité et la gravité de ses actes.

Cependant, de façon implicite, les arguments de types psychologiques utilisés ici laissent tout de même croire en un lien logique entre un trouble de l'adaptation et un acte meurtrier. Pourtant, tous les cliniciens savent bien que des milliers de Québécois souffrent de «troubles de l'adaptation avec anxiété et humeur dépressive» sans jamais poser de gestes violents, tout comme des milliers de Québécois sont déprimés sans faire de tentative de suicide. Prétendre à un lien inévitable «de cause à effet» est scientifiquement intenable.

Les experts psychologues et psychiatres peuvent rendre de grands services à la Cour et à un jury. Cependant, le psychodiagnostic n'est ni une science exacte ni une pratique qui ne répondrait qu'à un seul modèle théorique. Le fait que divers modèles diagnostiques existent implique qu'il est possible que deux experts tout à fait compétents aient des avis différents. 

Mais, quel que soit le système, il faut être prudent avant de prétendre qu'un diagnostic quel qu'il soit puisse dégager un individu de sa responsabilité personnelle ou que toute pathologie implique une poussée irrésistible vers le passage à l'acte.