«Un débat difficile», c'est ce à quoi nous conviait le ministre Bernard Drainville, le 10 septembre dernier, quand il a présenté le document d'orientation «Parce que nos valeurs, on y croit».

Je le revois encore écarter, le coeur sur la main, les critiques d'électoralisme de commentateurs politiques: Dieu, qu'on était suspicieux! Ce que le gouvernement déposait, ce n'était pas un document définitif, mais bien le premier jalon d'une discussion publique, au cours de laquelle il allait être important d'«écouter les arguments de part et d'autre».

Nous avons bien voulu y croire.

Il y a donc deux mois que les meilleures énergies du Québec se mobilisent pour analyser ce projet, ses implications, évaluer ses possibilités juridiques, institutionnelles. À force de repasser dans les mêmes sillons de ce sol boueux et fatigué, les positions sont tranchées, les tranchées sont creusées. Cela arrive rapidement quand les principes, les passions, les répulsions et les peurs des uns et des autres se rencontrent. Le sens commun sait que la religion fait partie de ces sujets de discussion à haut potentiel polémique.

Si votre gouvernement était vraiment convaincu de la nécessité de rouvrir un débat mené de manière déjà très approfondie par la Commission Bouchard-Taylor il y a cinq ans, n'aviez-vous pas la responsabilité de veiller à ce qu'il soit fait de manière la plus ouverte possible? N'aviez-vous pas vous-même la responsabilité d'écouter les arguments de part et d'autre?

Ce projet est devenu le point de rencontre d'un fouillis d'attentes multiples, parfois incompatibles. Les uns appuient la charte au nom de la neutralité religieuse de l'État; d'autres au nom de la lutte contre la religion/l'islam, comme adversaire du progrès, ce qui est le contraire de la neutralité; d'autres pour évacuer les signes religieux de l'espace public, ce qui n'est pas l'effet escompté de ce projet; d'autres pour contrer l'influence de prédicateurs radicaux dans certaines mosquées, par des mesures dont l'effet en ce sens m'échappe pour le moment; d'autres pour combattre les crimes d'honneur, qu'on ne préviendra pas en disant aux potentielles victimes d'enlever leurs chapeaux; ou le terrorisme, qu'on ne repousse pas parce qu'on rédige des «balises claires» à l'intention de gens qui s'en contrefichent.

Tant d'attentes démesurées, et souvent parfaitement étrangères à la teneur de ce projet de loi... Mais vous laissez dire, vous laissez espérer. Espérez, espérez ce que vous voulez, mais espérez. La surenchère des attentes bientôt déçues prépare la vague de la prochaine marée électorale.

Il eût été tellement facile de recevoir, comme autant d'opportunités constructives, les suggestions de compromis qui convergent de toutes parts depuis deux mois. On vous en a présentées du côté de la CAQ et de Québec solidaire, dont les appuis vous auraient aidé à faire adopter votre projet. Lucien Bouchard vous démontrait qu'en retirant la seule disposition jugée excessive par l'ensemble des milieux institutionnels touchés, et en conservant tout le reste, votre projet de loi serait sans doute adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale, symbole d'un Québec réuni autour de valeurs phares. Vous avez bien voulu lui reconnaître mollement le droit de s'exprimer comme citoyen.

On voit maintenant le résultat. Les seules modifications au projet initial vont dans le sens d'un durcissement. «Ce gouvernement n'écoute pas!», répétiez-vous à propos du précédent dans la crise des frais de scolarité... Vous nous avez bien eus.

Finalement, je ne jouerai pas votre jeu. Vous avez choisi de nous monter les uns contre les autres. Je décline votre invitation. Pour autant qu'ils croient à ce qu'ils défendent, je choisis d'aller vers les autres qui ne pensent pas comme moi. Même si c'est difficile. Parce que c'est difficile.