Voici l'histoire de deux jeunes soeurs sikhes. J'ai fait leur connaissance il y a de cela quelques années, alors que j'entamais mes recherches sur la communauté sikhe montréalaise. À cette époque, l'une d'elles se préparait à son baptême sikh, récitant de plus en plus les prières quotidiennes propres au sikhisme et se préparant à porter les cinq symboles religieux, dont le kirpan et le turban. Sa soeur, elle, ne se couvre pas les cheveux et pratique moins, bien qu'elle adhère aux principes sikhs, dont le service volontaire.

Avant le début de la cérémonie, je me suis assis avec le groupe de jeunes sikhes que je connais; elles viennent soutenir leur fidèle compagne. La future Kaur (nom de famille que prennent les femmes baptisées, équivalent de Singh chez les hommes) est nerveuse, mais une nervosité positive, celle qui vous habite quand vous vous apprêtez à franchir une étape cruciale de votre vie. Le port des symboles et la pratique quotidienne sont, dans le coeur de la jeune femme, un épanouissement et un progrès personnels. 

Je l'ai rencontrée pour un entretien quelques semaines plus tard, accompagnée de ses fidèles amies. Post-baptême, elle est toujours aussi souriante, posée, gentille, épanouie. Bon, peut-être un peu fatiguée puisqu'elle se lève désormais au petit matin pour les prières, mais c'est tout. Elle ne demande qu'à raconter son parcours, son bonheur.

Peu après, je rencontre sa soeur. Elle choisit un endroit neutre, en ville, en retrait de la communauté. Notre rencontre doit être tenue sous silence, au cas où elle serait mal interprétée. Je l'interroge sur ses choix par rapport à la religion. Elle dénonce le fait qu'elle soit montrée du doigt, dans la communauté, parce qu'elle ne suit pas l'exemple de sa soeur. Elle ne désire pas s'imposer la discipline propre au sikhisme parce qu'elle ne la considère pas comme étant nécessaire à sa foi. Elle ne veut pas couper ses beaux grands cheveux bruns bouclés ni se débarrasser de ses jeans à la mode.

Le plus intéressant, c'est l'entraide qui existe entre les deux soeurs. La première apporte un soutien inconditionnel lorsque sa soeur subit la pression de pairs face à son refus de prendre le baptême. Elle l'encourage à suivre sa route. L'inverse est aussi vrai. La jeune femme non baptisée encourage sa soeur à pratiquer à la hauteur de son engagement. Elle lui a dit de foncer quand leur mère s'opposait au baptême, craignant qu'aucun homme ne veuille marier une femme enturbannée. Avec des postures religieuses contraires, les deux jeunes femmes sont respectivement épanouies, fières de leurs choix et fières l'une de l'autre.

Alors, du haut de notre paternalisme, allons dire à l'une d'entre elles qu'elle fait fausse route, l'une selon des confrères et consoeurs sikhs, et l'autre selon les Janettes. Qui a raison? Les jeunes soeurs savent ce qu'elles font, croyez-moi. Si quelqu'un ose parler pour elles au nom du féminisme ou au nom du sikhisme, elles se soutiendront encore, et garderont le cap, parce qu'elles ont elles-mêmes défini les balises et la nature de leur liberté respective.

J'entends déjà les détracteurs: «Tout ne peut être permis au nom de la liberté religieuse!» Relisez donc; il ne s'agit pas ici de prosélytes zélées, mais de jeunes dames porteuses d'humanité et de respect.