Un grand nombre de personnes dénoncent depuis des mois, sinon des années, la désinvolture du gouvernement Harper pour les institutions démocratiques canadiennes et pour la dynamique démocratique en général.

On peut bien sûr rester indifférent à tout cela, mais il y a un prix à payer. Et ce coût tient précisément au sentiment d'indifférence, sinon de mépris, que risquent de développer les citoyens envers leurs institutions politiques. Si nos représentants affichent un profond dégoût pour les institutions qu'ils ont pourtant pour fonction d'administrer, comment condamner le citoyen moyen pour sa propre indifférence? Si nos institutions servent uniquement à trompeter le discours purement idéologique du gouvernement au pouvoir, comment et pourquoi les investir de notre confiance?

Deux de nos institutions sont particulièrement malmenées par les temps qui courent: le Sénat et la Cour suprême. Depuis quelques années maintenant le gouvernement Harper cherche à modifier le mode de sélection des sénateurs en le faisant passer d'un mode nominatif à un mode électif. 

L'idée en soi est peut-être bonne (ce dont je doute), mais tout est dans la manière. Le gouvernement Harper tente présentement de le faire sans chercher l'accord des provinces. Or, chose extraordinairement curieuse, dans une fédération, le rôle d'un sénat est précisément d'assurer la représentation des régions, et donc leur participation, dans les instances politiques fédérales. 

Soit, notre sénat ne remplit pas cette fonction comme il le devrait et mérite peut-être d'être aboli plutôt que réformé (ce dont je doute aussi). Mais, comment le chef d'un gouvernement fédéral peut-il prétendre, en toute légitimité, modifier une institution dont l'existence est étroitement liée à l'existence même d'un État fédéral? C'est précisément ce que vient de rappeler la Cour d'appel du Québec dans un jugement rendu hier.

La Cour suprême, quant à elle, est une instance depuis longtemps détestée par les conservateurs. Pour eux, la Cour n'est qu'un repaire de gauchistes qui, armés de la Charte canadienne, viennent brimer l'existence de l'honnête citoyen qui ne pense qu'à l'économie jour et nuit. Ce dégoût pour notre plus haute instance judiciaire s'exprime dans la sidérante désinvolture avec laquelle le gouvernement Harper entend régler le problème de la récente nomination du juge Nadon de la Cour fédérale à la Cour suprême. 

Encore une fois, c'est l'approche unilatérale qui est privilégiée. En effet, c'est au moyen d'une disposition législative enfouie dans une gigantesque loi omnibus - il s'agit de l'article 471 (!) d'un projet de loi budgétaire - qu'on entend régler la question. Qui plus est, la disposition a manifestement été rédigée sur le coin d'une table, puisque sa version anglaise est syntaxiquement bâclée («For greater certainty, for the purpose of section 5, a person may be appointed a judge if, at any time, they were a barrister or advocate of at least 10 years standing at the bar of a Province»).

En agissant de la sorte, et sans se demander si cette modification peut être faite sans la collaboration des provinces, le gouvernement cherche évidemment à éviter un débat sur cette question précise. La modification relative à la Cour suprême n'étant qu'un détail dans ce magma budgétaire, personne n'y accordera l'attention qu'un débat sur cette question spécifique aurait permis. 

En outre, rappelons que le juge Nadon a été nommé pour remplacer l'un des trois juges appelés à représenter le Québec à la Cour suprême. Or, si on avait voulu éviter tout cet imbroglio, pourquoi n'avoir pas eu le doigté diplomatique de demander, avant même la nomination du juge Nadon, à un juriste québécois de formation civiliste (le Québec étant la seule province canadienne à avoir un droit privé de tradition française) de se prononcer sur la légalité de la nomination d'un juge de la Cour fédérale à la Cour suprême? 

Pourquoi avoir foncé tête baissée sur la base de l'avis de juristes remarquablement compétents, mais tous issus de l'extérieur du Québec? Un juriste québécois compétent en droit civil serait peut-être arrivé à la même conclusion, mais la dynamique fédérale aurait été respectée.

En réalité, aux yeux du gouvernement Harper, nos institutions ne méritent aucune réflexion intelligente. Elles n'ont d'utilité que dans la mesure où elles servent les intérêts du parti. Du point de vue de la démocratie, du fédéralisme et de la primauté du droit, c'est tragique.