Dans les analyses de la génération des baby-boomers, il est courant de faire ressortir les ruptures opérées avec la religion, mais on note plus rarement l'influence souterraine des aînés dans ces mouvements de remise en cause.

Devant la sortie publique des «Janettes», je ne peux m'empêcher de ressortir les résultats d'une enquête effectuée à la Faculté de théologie au début des années 1990, alors que nous avions interrogé plusieurs générations. 

Chez une majorité de femmes interviewées, âgées alors entre 55 et 75 ans, la critique était cinglante sur le plan religieux (elles auraient aujourd'hui 75 ans et plus). Derrière l'image traditionnelle qu'avaient toujours les «bonnes grand-mamans» au tournant des années 1990, les entrevues des femmes, même les plus âgées, laissaient entrevoir des réflexions et itinéraires qui n'étaient pas étrangers aux révoltes et aux ruptures de leurs filles baby-boomers: déjà certaines évoquaient une rupture culturelle et religieuse parfois radicale.

Même chez celles se disant toujours catholiques pratiquantes, cette agressivité et cette frustration se percevaient dans bien des entrevues. 

Citons quelques propos de ces femmes: «Avec un directeur de conscience, j'ai éclairci ma peur de devenir religieuse. Puis je me suis abonnée au YMCA, chez les protestants. En voyant les anglophones qui se déshabillaient nues, biens dans leur peau, je me suis rendu compte que j'avais été élevée dans une fausse pudeur. Les questions sexuelles, ça nous a drôlement remuées!» (67 ans, aurait aujourd'hui plus de 87 ans). 

Écoutons cette autre: «J'ai transmis à mes filles ma colère et mes déceptions (70 ans, aurait aujourd'hui plus de 90 ans).

Plusieurs, parmi les femmes aînées éduquées, vivaient une véritable révolte intellectuelle; elles étaient impitoyables. Le discours des femmes comportait une charge émancipatrice et critique plus forte que chez les hommes. La citation qui suit appartient aux récits couramment entendus au Québec, au sujet du contrôle étroit qu'exerçaient plusieurs membres du clergé sur la sexualité familiale: «On ne pouvait rien faire, on était toujours réprimandé sur tout ... on était rien que des pécheurs ...la femme avait un rôle écrasant à jouer là-dedans: «Fais des p'tits puis fais ton devoir!» Si tu avais le malheur d'aller t'accuser d'"empêcher la famille" (i.e. user d'une méthode contraceptive), bien là, ça n'avait pas de bon sens, tu allais chez le diable direct» (femme de 67 ans, aurait aujourd'hui près de 90 ans).

Évidemment, les récits de femmes sont formés à l'aune des époques traversées, certains étaient plus positifs, mais on ne saurait négliger ce filon féminin de la rupture. Eu égard à la situation actuelle de l'Église catholique et plus généralement de la religion, il se perpétue jusqu'à aujourd'hui. 

Si l'importance de l'égalité entre hommes et femmes a pris une ampleur tout à fait inédite après les attentats terroristes à New York, en septembre 2001, se cristallisant surtout autour de l'islam, ce que je viens de relater sur la rupture féminine rappelle que le facteur de l'égalité des sexes était hautement sensible quand il s'agissait de religion, et ce bien avant 2001. 

La révolution des genres n'a pas fini de bouleverser l'ordre jusque-là tranquille des choses dans les grandes religions. Celles qui furent traditionnellement les courroies de la transmission religieuse dans les familles sont devenues de redoutables critiques. Car si les féministes de type républicain,

Mme Bertrand par exemple, s'en prennent avec rage aux religions elles-mêmes, de nombreuses autres, en apparence plus conciliantes, entendent tout de même les réformer.