Demain se termineront les audiences de l'Office national de l'énergie (ONE) sur l'inversion et l'accroissement de la capacité de la canalisation 9B d'Enbridge. Si l'ONE donne une réponse favorable à ce projet, Montréal pourrait recevoir du pétrole léger albertain et du pétrole lourd issu des sables bitumineux.

Il y a deux grands types d'objections à ce projet et à un autre, de TransCanada, plus ambitieux: 1,1 million de barils par jour, contre 300 000 pour le projet d'Enbridge. Ce sont les questions de sécurité du pipeline et le lien avec les changements climatiques.

Avec du pétrole lourd, le mode d'opération d'un pipeline est différent que pour le pétrole léger. Ce n'est cependant pas nouveau, puisque le transport de pétrole lourd se fait depuis très longtemps, ailleurs dans le monde. Si on croit que les oléoducs actuellement en fonction au Québec et ailleurs en Amérique du Nord sont sécuritaires, et si on a un minimum de confiance dans nos institutions, il n'y a pas de raison de croire que les questions de sécurité ne peuvent pas être réglées de manière satisfaisante.

L'autre objection contre ces projets est liée à la provenance du pétrole: les sables bitumineux. Sa production a une empreinte écologique supérieure à celle du pétrole conventionnel léger, notamment quant aux quantités d'eau utilisées et aux émissions de gaz à effet de serre. En acceptant ces pipelines, nous permettrions à davantage de pétrole issu des sables bitumineux d'être produit, donc nous contribuerions aux problèmes environnementaux.

À l'heure des changements climatiques, alors que nous devons réduire drastiquement nos émissions de GES, de tels projets de pipelines et de production de pétrole non conventionnel apparaissent contradictoires. Cette objection n'est pas non plus du ressort de l'ONE. Par contre, c'est une préoccupation légitime, à laquelle il faut répondre.

La réponse à cette objection a trois volets. Premièrement, utilisons-nous du pétrole plus «propre» que celui des sables bitumineux? Deuxièmement, sommes-nous engagés dans une voie de réduction de notre consommation de pétrole? Enfin, qu'adviendrait-il si ces projets de pipeline ne se réalisaient pas?

Notre pétrole vient majoritairement d'Algérie, de la mer du Nord et des Maritimes. Mais plus de 10% du Nigeria et d'Angola, dont le bilan environnemental est comparable ou pire à celui des sables bitumineux. Pourquoi accepter ce pétrole, mais en refuser un autre, dont l'empreinte environnementale est sous surveillance et en déclin (par baril produit)? S'opposer au pétrole de l'Ouest ne fera que favoriser les importations de ces deux pays, dont la production est en croissance, contrairement à celle des principales sources actuelles, qui décline.

L'attention portée sur l'impact de la production de pétrole tend à voiler le fait que le coeur du problème est ailleurs: de 80 à 90% des émissions du pétrole sont liées à son raffinage et sa combustion (dans nos voitures et camions). La production est donc un problème secondaire. Le Québec, par ses ambitions de réduction d'émission de GES, est pleinement engagé dans la voie d'une réduction de la consommation de pétrole. Ce défi est immense, et demande toute notre attention et nos efforts. Dans ce contexte, les luttes secondaires sur les pipelines constituent davantage une distraction dommageable qu'une avancée climatique.

Si ces projets sont rejetés, le pétrole albertain trouvera des sorties alternatives: par le nord ou par train. Oui, des investissements seront annulés en Alberta. Mais ils iront en Colombie, au Venezuela et au Brésil, des producteurs de pétrole lourd au potentiel de croissance. Déjà, ces pays comblent le manque d'approvisionnement canadien des raffineries américaines du golfe du Mexique.

En somme, à une source canadienne de pétrole, on aura substitué une source étrangère, non moins polluante. Le climat ne s'en portera pas mieux, et nous aurons mené un vain combat canado-canadien, qui ne nous aide en rien à diminuer notre consommation de pétrole.