Le projet de loi 52 sur les soins de fin de vie est actuellement étudié en commission parlementaire. Plusieurs associations médicales ont donné leur appui au projet de loi, incluant le Collège des médecins du Québec et les Fédérations des médecins omnipraticiens et des médecins spécialistes du Québec.

Cependant, alors que leurs représentants appuient le projet, plusieurs groupes de médecins s'opposent fortement à toute forme d'euthanasie. À un point tel que certains se demandent si, si le projet devient loi, il y aura des médecins prêts à respecter les demandes des patients et «pousser sur la seringue» aidant le patient à mourir. Ceci même si, dans le cadre de sondages menés entre autres par la FMSQ, une majorité de médecins se sont prononcés en faveur d'une légalisation de l'euthanasie.

Je suis médecin gériatre, avec formation complémentaire et expertise en soins palliatifs et douleur chronique. Ma pratique se fait presque exclusivement auprès de personnes (souvent très) âgées avec une souffrance physique sévère, entraînant souvent une souffrance psychologique.

Après réflexion, je peux maintenant affirmer que «oui, je pousserai sur la seringue. MAIS... et SI...».

MAIS pas pour les patients que je traite actuellement. Premièrement, même s'ils souffrent beaucoup et souhaitent parfois une mort passive, aucun n'a jamais manifesté de désir d'euthanasie. Ou si ça a été le cas, ils ont rapidement changé d'idée, lorsque leur douleur et leur dépression furent mieux contrôlées.

Deuxièmement, et principalement, même si leur espérance de vie est limitée vu leur âge et que leur douleur est «grave est incurable», leur état n'est certes pas terminal. Selon le projet de loi, ils ne seraient donc pas (et ne devraient pas, à mon avis) être «éligibles» à l'aide à mourir.

Je crois d'ailleurs, à l'instar de plusieurs intervenants, que la «fin de vie» devrait être mieux précisée dans le projet de loi, pour éviter les interprétations erronées et rassurer ceux qui s'inquiètent des dérives observées en Belgique, où des patients avec souffrance physique (ex. fibromyalgie) ou psychique non associée à une maladie terminale ont été euthanasiés. Ceci ne se produira pas au Québec, pas plus d'ailleurs que pour ceux avec maladie neurologique dégénérative qui ne sont pas en fin de vie.

Motivés par des idéologies non médicales, les opposants au projet de loi effraient inutilement la population en faisant craindre une euthanasie massive, souvent contre le gré de la personne. Je suis persuadé que ça ne se produira pas.

Oui, je pousserai sur la seringue. MAIS après m'être assuré que ce n'est pas un désir passager, motivé par un découragement et épuisement temporaire, fréquents et attendus dans le cadre d'une maladie grave. Après m'être assuré que toutes les approches thérapeutiques ont été tentées sans succès pour soulager la douleur et la souffrance.

Avec les moyens dont nous disposons, seul un très petit nombre de patients n'est pas soulagé adéquatement en fin de vie. Ce n'est que pour ceux-là que je pousserai la seringue, ce qui soulagera leur souffrance et n'abrégera leur vie que de quelques jours ou quelques semaines, durant lesquelles la qualité de vie aurait été absente.

Oui, je pousserai la seringue SI, après discussion et évaluation approfondies, la personne y consent de façon libre et éclairée. Certains croient qu'on devrait pouvoir consentir à l'aide médicale à mourir par le biais de directives anticipées, pour l'obtenir lorsque la maladie ou une démence sévère nous empêcheront d'y consentir. Toutefois, les souhaits émis alors qu'on est bien portant changent souvent lorsqu'on est malade. Un état qui nous paraissait inacceptable lorsque bien portant est mieux accepté lorsqu'on s'y adapte progressivement. Permettre l'aide médicale à mourir par le biais de directives anticipées ou de consentement d'un proche ne ferait qu'attiser les craintes et arguments fallacieux des opposants.

Oui, je pousserai sur la seringue SI ces conditions sont respectées, car il est du devoir du médecin de soulager la souffrance de son patient avec tous les moyens mis à sa disposition, et de respecter ses volontés si justifiées médicalement. En respectant les conditions énumérées au projet de loi, le recours à l'aide médicale à mourir devrait être exceptionnel.